En 1959, son premier roman, La belle bête, a bouleversé le paysage littéraire québécois. Cinquante ans plus tard, Marie-Claire Blais continue de déranger et d'éblouir les lecteurs. L'auteure de Mai au bal des prédateurs (Boréal), qui collectionne les prix les plus prestigieux, tant à l'étranger qu'au Québec, est certainement l'une des plus grandes écrivaines du Québec contemporain.

Avec les nouvelles technologies et l'arrivée des médias sociaux (Facebook, Twitter, blogues...), le métier d'écrivain a-t-il beaucoup changé?

Le métier d'écrivain me semble toujours aussi exigeant, rigoureux. Les nouvelles technologies nous offrent de nouveaux outils, d'abondantes connaissances vite acquises, mais, en même temps, le métier d'écrivain représente toujours le même art difficile à maîtriser, fondé sur la perception que nous avons des autres, de la vie de chacun, la compréhension du monde dans lequel nous vivons. Pour écrire, il faut être constamment à l'écoute et d'une sensibilité parfaitement ouverte à tous les drames de la vie, savoir traduire dans une langue harmonieuse ce que l'on ressent en plein chaos, les espoirs comme les malheurs de cette époque. Ce qui est allégé par la technologie, et nous facilite la tâche, ne l'est pas quant à la recherche de la qualité dans le travail, l'écriture étant un acte si privé.

La littérature est-elle encore le miroir de son époque?

Notre époque est en nous, nous vivons avec notre temps très mouvementé, nous suivons les événements du monde avec une inquiétude dévorante, nous sommes en ce moment témoins de plusieurs guerres, de violences extrêmes. Il est naturel, je pense, que nos livres reflètent cette époque où l'avenir du monde est toujours menacé. Ce sont des questions que l'écrivain ne peut pas fuir. Chacun les exprime à sa façon. Mais dans nos livres, cela ressort presque malgré nous. Seule la poésie, peut-être, peut transformer ce qui est parfois si douloureux à voir, et qu'on ne peut fuir.

Quels sont les enjeux de notre époque qui vous touchent et vous inspirent?

Ce qui me touche, c'est qu'on peut quand même s'entraider, nous assistons de plus en plus à des soulèvements très humanitaires, à des réflexions qui poussent à des changements bénéfiques. Cela, nous l'avons vu lors du tremblement de terre en Haïti. Ce n'est qu'un début, bien imparfait encore, de l'union des sociétés diverses pour l'entraide, mais c'est une inspiration ou une aspiration plutôt dont nous aurons souvent besoin dans l'avenir, encore que ce soit toujours si imparfait et souvent mal utilisé. Mais les enjeux sont immenses, c'est cela ou rien ne pourra survivre de nous.

À l'ère de la haute vitesse et des communications instantanées, pourquoi prendre le temps de lire et d'écrire?

Cette question me décourage un peu car elle reproduit ce que bien des gens qui n'ont jamais aimé la lecture ni les arts répètent souvent: oui, à quoi bon prendre le temps d'écrire et de lire? Hélas, ce n'est que trop vrai, on confond l'ère des communications rapides à une forme d'art, ce qui est faux. L'ère des communications est une merveille seulement si elle soutient le travail des écrivains et des artistes et ne le détruit pas. Le travail de l'artiste, de l'écrivain s'accomplit dans la solitude la plus grande, un livre est comme un morceau de musique ou la toile d'un peintre, l'artiste ne cède en rien à la facilité de ce qui est vite lu, vu ou écouté: il a besoin d'un temps de méditation et non de récréation quand il travaille, et au moins d'un peu d'attention lorsque le fruit de ce travail est livré aux autres. Tant mieux si l'ère des communications rend son oeuvre plus visible, mais ce n'est pas souvent le cas.

L'avenir du livre passe-t-il par l'édition numérique?

La réponse précédente répond déjà un peu à cette question, sans doute que l'avenir du livre passe par l'édition numérique, mais ce qui me préoccupe est encore une fois la qualité de ces livres, la qualité de ce que l'écrivain veut exprimer ou tend à exprimer, et aussi, la vie matérielle étant souvent difficile pour l'écrivain, que ses droits d'auteur soient respectés davantage dans l'avenir. Je pense aussi qu'il y aura toujours des amoureux des livres, aimant prendre les livres entre leurs mains, y sentir couler les mots sur le papier, car le livre, en soi, avec sa texture, ses pages, son odeur, est un cadeau.

Gilles Archambault s'entretient avec Marie-Claire Blais jeudi, 18h30, au Carrefour Desjardins.