C'est donc fait: l'Ukraine et l'Union européenne (UE) ont ratifié hier leur accord d'association qui, dans le meilleur des mondes, devrait faire progresser Kiev sur le chemin de l'Europe.

Sauf que nous ne sommes pas dans le meilleur des mondes, mais dans un pays fragilisé par des mois de guerre civile, tout juste mise en veilleuse par une trêve vacillante.

Il y a maintenant 10 mois que l'ancien président ukrainien Viktor Ianoukovitch, pliant sous les pressions de Moscou, refusait de signer ce même accord avec l'UE. Son geste a allumé la révolte qui allait lui coûter son poste et plonger son pays dans le conflit meurtrier que l'on sait.

Moins d'un an après les premières manifestations de novembre 2013, le nouveau pouvoir de Kiev est revenu à la case départ et a franchi le pas qui n'avait pas été accompli l'automne dernier. Ce n'est pas rien.

Mais en se réjouissant de cette signature «historique» et en y voyant une victoire pour l'Ukraine, le président Petro Porochenko fait preuve d'un excès d'optimisme. Au-delà du symbole, la réalité est beaucoup moins rose que cette avancée symbolique ne le laisse croire.

D'abord, parce que le pas franchi hier est ultra-préliminaire. Concrètement, l'Ukraine aura droit à des fonds de développement européens, mais l'entente d'association ne comporte aucune promesse d'adhésion, encore moins de calendrier.

L'entrée en vigueur du volet commercial de l'accord a d'ailleurs été reportée en janvier 2016, à la demande de Moscou, qui craignait de voir des produits européens déferler sur son marché en transitant par l'Ukraine.

Plusieurs des manifestants de la première heure, à Kiev, y voient donc surtout une concession à Vladimir Poutine, bien plus qu'une victoire des pro-occidentaux ukrainiens.

Le Parlement ukrainien a aussi voté, hier, deux lois visant à apaiser les rebelles prorusses. L'une d'entre elles promet l'amnistie à ceux qui n'ont pas commis de crimes de guerre. L'autre accorde un régime d'autonomie temporaire pour le Donbass - la région de l'est du pays contrôlée en grande partie par les sécessionnistes.

Là encore, il s'agit indirectement de concessions faites à Vladimir Poutine. Ce qui ne signifie pas que le Donbass n'ait pas besoin d'un peu d'autonomie. Bien au contraire: l'Ukraine est un pays ultra-centralisé. Et il n'y a pas que les sécessionnistes prorusses qui souhaitent donner plus de pouvoir aux régions.

«Nous devons quémander le moindre kopeck à Kiev», s'était plaint Roman Kovalenko, un député régional que j'avais rencontré à Donetsk, au printemps dernier. Il planchait justement sur un projet de décentralisation nationale...

Bref, rien de mal à laisser les régions ukrainiennes respirer un peu. Sauf que dans le contexte actuel, l'offre risque d'être tout simplement rejetée comme insuffisante. Moscou a déjà fait connaître ses attentes à ce sujet: ce que la Russie cherche, c'est à doter le Donbass du droit à sa propre politique étrangère, indépendante de celle de Kiev. Et d'un droit de veto sur... une éventuelle adhésion à l'UE. Bref, de la capacité à saboter la démarche lancée avec tambours et trompettes hier.

Sur le terrain, la Russie continue à tirer les fils. Hier, un nouveau convoi russe théoriquement humanitaire est entré en Ukraine. L'OTAN estime à un millier le nombre de soldats réguliers de l'armée russe toujours présents dans l'Est ukrainien - des vacances prolongées, sans doute? Tandis que le président Porochenko mène une tournée internationale à la recherche d'appuis militaires. Tournée qui l'amène aujourd'hui à Ottawa.

Et enfin, la vulnérabilité de l'Ukraine tient aussi aux faiblesses et travers de ses propres politiciens, et à leur incapacité à présenter un front uni, même maintenant, même en situation de guerre. Aux élections législatives d'octobre prochain, le camp du premier ministre Arseni Iatseniouk fera face au camp du président Petro Porochenko. Ce qui les divise: leur position par rapport à Moscou, le premier étant plus intransigeant que le second. Mais aussi, dit-on, des histoires d'ego et de conflits personnels.

Et pendant qu'ils se chicanent, leurs promesses d'éliminer la corruption - l'autre «front» de la révolte de l'hiver dernier, indispensable si l'Ukraine veut un jour obtenir son passeport pour l'Europe - sont reportées à Dieu sait quand.

Dans ce contexte, la toute petite avancée conclue hier avec l'Union européenne relève, tout au plus, d'un pari sur l'avenir. Un pari plus qu'incertain.