Aucun gala ne peut rivaliser avec les Grammy en ce qui a trait à la quantité de superstars au pied carré. Tant dans la salle que sur scène. Justin Timberlake va y chanter ce soir. U2 aussi. Tout comme Lil Wayne et Coldplay, les deux meneurs de la compétition. Qui va l'emporter? Tout dépend de l'album et de la chanson qui seront annoncés en fin de soirée.

L'audience des Grammy n'est pas en hausse. Logique: si le marché de la musique ne cesse de se fragmenter, l'idée même de réunir tous les publics autour d'un seul gala censé célébrer ce qui se fait de mieux dans tous les genres musicaux semble de plus en plus illusoire. L'attribution du prix du meilleur album à River: The Joni Letters de Herbie Hancock l'an dernier, devant Rehab d'Amy Winehouse, a par ailleurs plombé la crédibilité de la cérémonie aux yeux de plusieurs.

 

Un sérieux coup de gouvernail s'imposait. Il a été donné. Le dévoilement des artistes en nominations a été accueilli avec étonnement et soulagement. Même Pitchforkmedia, webzine très à gauche au plan artistique, a souligné l'étonnante pertinence des candidatures. Pour intéresser les jeunes, les Grammy ont invité les Jonas Brothers et Miley Cirus à se produire pendant le gala. Et les Grammy disposent maintenant de leur propre page Facebook.

Qui d'autre verra-t-on sur scène? Des tonnes de vedettes. Lil Wayne, Coldplay et Radiohead (oui, oui, Radiohead), meneurs au chapitre des nominations. Kanye West doit être très heureux d'avoir été courtisé pour non pas un, mais deux numéros: son duo avec Estelle et celui avec T.I. U2 a de nouveau été invité et il est difficile d'y voir autre chose qu'un privilège attribué à un chouchou de l'institution puisque son nouveau disque n'est attendu que le mois prochain.

Qui se sauvera avec les grands honneurs? Ça risque fort de se jouer dans les catégories de pointe où les meneurs se mesurent les uns aux autres: album, chanson et enregistrement de l'année. Tour d'horizon des oeuvres citées dans ces deux catégories chaudes.

ALBUM DE L'ANNÉE

Viva la Vida Or Death And All His Friends

Coldplay

Coldplay a un indéniable sens de la mélodie. Un son et une identité forts aussi, reconnaissables entre tous. Ces grandes qualités n'arrivent toutefois pas à faire oublier que Coldplay est un groupe formidablement moins novateur qu'on aime bien le croire. Viva la Vida s'éloigne de la manière répétitive du groupe, mais sans convaincre totalement que Chris Martin et sa bande ont les moyens de leurs ambitions artistiques.

Tha Carter III

Lil Wayne

Il se dit le plus grand rappeur vivant. Il pourrait être le roi des Grammy. Il a dit ne pas y croire dans un blogue vidéo daté du mois de décembre. «Pas juste pour des raisons politiques, précise-t-il, mais parce qu'il y a tellement de gens talentueux dans ces catégories.» Sa maestria a été célébrée, mais Tha Carter III demeure un disque aussi bordélique qu'inventif. Ça joue contre lui. Il en a toutefois vendu des tonnes, ce qui l'avantage.

Year Of the Gentleman

Ne-Yo

Ne-Yo fait du R&B de gentleman. Des chansons proprettes avec du violon là où il faut. Les arrangements se révèlent intéressants par moments, mais Ne-Yo n'offre rien de plus que son aisance charismatique, sa voix charmante et une totale maîtrise des codes R&B. Candidat idéal à un gramophone doré pour une chanson. Closer, par exemple. Mais pour un album complet?

Raising Sand

Robert Plant et Alison Krauss

Robert Plant ne veut pas retourner faire du Led Zeppelin et c'est un peu beaucoup la faute à Alison Krauss. Ou bien au réalisateur T-Bone Burnett, aux commandes de ce disque où le rock n'est jamais bien loin du bluegrass sans toutefois se contenter d'arpenter les chemins fréquentés. Plant et Alison Krauss marient leurs voix avec un naturel étonnant. Super guitares de Marc Ribot et T-Bone Burnett. Plant est, de plus, une légende du rock. Aux Grammy, on aime les légendes...

In Rainbows

Radiohead

In Rainbows n'est pas le summum de la discographie de Radiohead au plan de l'innovation, c'est entendu. Ses prouesses tiennent à ces arrangements sophistiqués, formidablement nuancés, et à ses grandes qualités au strict plan de l'écriture. Radiohead ne fait pas du surplace. Il mûrit. Sans ennuyer (ouf!), sans se ménager et sans nous ménager au plan émotif.

 

CHANSONS DE L'ANNÉE

Chasing Pavement

Adele

(Enregistrement et chanson de l'année)

La jeune Adele a vite été comparée à Amy Winehouse étant donné sa voix fêlée et son amour de la soul. Son approche est toutefois plus pop, comme en témoigne cette ballade emphatique d'une grande élégance bien servie pour un chant d'une étonnante maturité.

Viva la Vida

Coldplay

(Enregistrement et chanson de l'année)

Du Colplay pur jus, mélodique à souhait, d'une grande richesse au plan des textures et des arrangements. Ironie du sort, c'est précisément cette chanson que Joe Satriani accuse Chris Martin d'avoir plagié sur l'une des siennes.

Bleeding Love

Leona Lewis

(Enregistrement de l'année)

Autre jeune chanteuse britannique qui affectionne le R&B, mais qui l'associe à des rythmes crus qu'on associe davantage au rap qu'à ce genre de ballade. Tendance aux envolées vocales à la Céline Dion.

Paper Planes

M.I.A.

(Enregistrement de l'année)

De loin la chanson la plus novatrice du lot. La plus provocatrice, aussi, avec cet amalgame de sons de tiroir-caisse et de coups de feu au refrain. M.I.A., championne de la pop mondialisée et engagée, a peu de chances de l'emporter, mais c'est franchement réussi.

Please Read the Letter

Robert Plant et Alison Krauss

(Enregistrement de l'année)

Du folk de facture assez conventionnelle, lorgnant vers le country. Dans la forme, rien d'inhabituel. Tout est dans la manière, dans l'intention et dans l'émotion. Sensible et fort beau duo.

I'm Yours

Jason Mraz

(Chanson de l'année)

Une mélodie ensoleillée, une promesse d'amour et un refrain qui reste en tête dès la première écoute. I'm Yours de Jason Mraz est d'un naturel stupéfiant. Mais tout aussi prévisible.

Love Song

Sara Bareilles

(Chanson de l'année)

Ç'aurait pu être une autre ballade romantique. Or, c'est une dynamique chanson pop marquée par un piano répétitif et une rythmique carrée. Imaginez un croisement entre Sarah McLachlan et Sheryl Crow.

American Boy

Estelle et Kanye West

(Chanson de l'année)

Il y a un soupçon de disco dans ce hip-hop rehaussé de R&B classique et de bidouillages électroniques faisant des clins d'oeil aux années 80. Original, mais pas inoubliable.

Photo: Reuters

M.I.A.