Kent Nagano a choisi L'évolution de la symphonie comme thème du dernier programme de la série «Grands Concerts» de l'Orchestre Symphonique de Montréal de la présente saison, programme qui, en principe, est aussi le dernier de cette série à être présenté à la salle Wilfrid-Pelletier puisque la saison prochaine doit marquer l'entrée de l'orchestre dans la nouvelle salle.

Ce programme plutôt sophistiqué a été conçu en fonction du concert de l'OSM samedi soir à New York, au Carnegie Hall. En fait, Nagano en fait une répétition générale pour Carnegie jusqu'à inclure les rappels qu'il a préparés, comme c'est la coutume chez les orchestres jouant à l'étranger.

Le mot «symphonie» (ou une variante) figure dans le titre de toutes les oeuvres entendues. Mais on n'explique pas comment des canzone pour groupes de cuivres de Gabrieli et des inventions à trois voix de Bach pour clavier seul (alternant avec le reste) ont pu contribuer au développement de la symphonie à travers les siècles; on ne justifie pas non plus l'importance donnée ici à la quasi inécoutable Symphonie de chambre en deux très courts mouvements de Webern et aux très arides Symphonies d'instruments à vent de Stravinsky (titre d'ailleurs bien arbitraire puisqu'il s'agit d'une seule oeuvre).

Pour d'évidentes raisons d'équilibre, Nagano a consacré tout l'après-entracte à la Cinquième de Beethoven, qui est sans doute la symphonie la plus célèbre du répertoire tout entier, mais, du même coup, l'ordre chronologique souhaité ici est complètement inversé : le Webern date de 1928, le Stravinsky qui suit est joué dans la version originale de 1920 et le Beethoven remonte à 1808.

La Cinquième fait le concert. Nagano et l'OSM y montrent une énergie inhabituelle, manifestement inspirée par l'imminent retour à New York. Les cuivres sont particulièrement brillants. La salle est comble et l'ovation semble ne devoir jamais finir. Nagano, les deux mains en porte-voix, comme dimanche dernier, mais lançant cette fois un correct «Vous m'entendez?», annonce un rappel : la Sicilienne, tirée de la musique de scène de Fauré pour le Pelléas et Mélisande de Maeterlinck. Il entraîne ensuite l'orchestre dans un second rappel, qu'il n'identifie pas, et qui est l'ouverture Le Corsaire de Berlioz, enlevée avec la plus totale effervescence.

Le public exulte et oublie le pensum qu'on lui avait imposé en première partie, assorti d'une demande au micro de ne pas applaudir avant l'exécution de toutes les pièces. Il faut néanmoins souligner l'excellence de chaque prestation : les huit cuivres debout, dans les Gabrieli, la synchronisation des groupes dans le Webern et le Stravinsky, et le jeu détaillé d'Angela Hewitt, reléguée à son piano tout à gauche de la scène. Nagano lui avait confié un tel rôle à côté de l'orchestre, dans des Bach également, en 2008. La pauvre pianiste doit bien se demander quand on l'invitera à jouer avec l'OSM !

ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE MONTRÉAL. Chef d'orchestre : Kent Nagano. Angela Hewitt, pianiste. Mardi soir, salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. Série «Grands Concerts».

Programme:

Deux Canzone pour double choeur de cuivres, ext. des Sacrae Symphoniae (1597) - Gabrieli

Inventions (Sinfonias) à trois voix pour clavier seul BWV 787, 788, 789, 790 et 791 (1723) - Bach

Symphonie op. 21 (1928) - Webern

Inventions (Sinfonias) à trois voix pour clavier seul BWV 794 et 795 (1723) - Bach

Symphonies d'instruments à vent (version originale, 1920) - Stravinsky

Inventions (Sinfonias) à trois voix pour clavier seul BWV 797, 798 et 801 (1723) - Bach

Symphonie no 5, en do mineur, op. 67 (1808) - Beethoven