Black Mirror a négocié un gros virage pour sa sixième saison, en ligne depuis une semaine sur Netflix. Les cinq nouveaux épisodes, pas vilains du tout, ne parlent plus uniquement des périls de la technologie et de la peur d’un futur dystopique dominé par des clones humains et des gadgets électroniques hypersophistiqués.

Black Mirror explore ailleurs, soit dans le film d’horreur classique, sans qu’aucun écran, le miroir noir du titre de cette série anthologique, apparaisse dans l’intrigue.

Est-ce une bonne idée ? Oui et non. Oui, parce que le cinquième et dernier épisode, intitulé Démon 79, procure autant de frissons, d’humour noir et d’hémoglobine qu’un long métrage d’Ari Aster ou de James Wan.

Et non parce que le meilleur épisode de la cuvée 2023 demeure celui qui ressemble le plus à du Black Mirror traditionnel, soit le troisième (intitulé Mon cœur pour la vie), qui met en vedette Aaron Paul et Josh Hartnett dans le costume de deux astronautes de la fin des années 1960.

Avant de poursuivre, deux choses capitales. D’abord, Black Mirror 6 dépasse Black Mirror 5 (celui, imbuvable, avec Miley Cyrus, entre autres) en matière de qualité et d’originalité, mais pas les trois chapitres précédents, qui restent les plus aboutis et les plus terrifiants.

Aussi, pour les non-initiés, Black Mirror se dévore en pièces détachées, sans ordre précis et sans besoin d’avoir englouti les saisons antérieures pour tout comprendre. Il s’agit de minifilms indépendants d’une heure, qui n’ont aucun lien entre eux à part exploiter la science-fiction.

Tout le monde suit ? Super. Revenons à nos astronautes du troisième épisode, le plus réussi, qui se déroule en 1969. Les deux protagonistes vivent dans un vaisseau spatial et la technologie, très poussée, leur permet de se téléporter dans leurs familles, sur Terre, aussi souvent qu’ils le souhaitent. Comment ? En téléchargeant leur conscience dans une réplique robotique de leur corps.

PHOTO NICK WALL, FOURNIE PAR NETFLIX

Josh Hartnett dans le troisième épisode de Black Mirror

Ça peut paraître bizarre, mais cet épisode quasi poétique, mais très dur, explore la violence masculine et la duperie de l’intelligence artificielle dans une atmosphère qui tangue entre la mélancolie et le drame. Du Black Mirror à son meilleur, avec une fin extrêmement vicieuse. Kate Mara, Aaron Paul et Josh Hartnett y offrent des performances intenses et nuancées.

Le pire, maintenant, c’est le quatrième épisode qui s’appelle Mazey Day et qui se veut une critique de l’univers amoral des paparazzi. L’action se passe en 2006, période charnière pour les chandails Ed Hardy, les téléphones « slide » et le mini iPod Shuffle. Une starlette, tourmentée par un évènement trouble de son passé pas si lointain, vit recluse à Hollywood, et les enchères pour une photo d’elle, de préférence intoxiquée, grimpent en flèche.

Des journalistes de type TMZ retrouvent la jeune actrice dans une chic clinique de désintox et la chasse au cliché tant convoité se transforme en cauchemar digne d’un film d’épouvante bien connu des années 1980. La fin est aussi prévisible que risible.

L’idée à la base du premier épisode, baptisé Joan est horrible, aurait tellement pu être mieux exploitée, parce qu’elle est joliment méta. On y suit Joan (Annie Murphy de Schitt’s Creek), une jeune femme blasée à la tête des ressources humaines d’une entreprise techno funky.

Un soir, alors qu’elle épluche la plateforme Streamberry, à la recherche d’une série à engloutir, Joan tombe sur le nouveau feuilleton Joan est horrible. Tiens, tiens. Le personnage principal de la série, que joue Salma Hayek, arbore la même coupe de cheveux qu’elle.

La maison montrée dans Joan est horrible est identique à celle de la vraie Joan, son bureau aussi, son copain aussi. Bref, Streamberry (une copie à peine voilée de Netflix) a vampirisé puis manufacturé la vie de Joan en produit de consommation de masse.

PHOTO FOURNIE PAR NETFLIX

Salma Hayek, dans le premier épisode de la sixième saison de Black Mirror

Dans chacun des épisodes relayés par Streamberry, la vraie Joan voit la fausse Joan (donc, Salma Hayek) vivre sa vie en temps quasi réel et exposer tous ses secrets à des millions d’abonnés. Comment est-ce possible ? Grâce à l’hypertrucage, notamment.

Essayant de débrancher l’émission, la vraie Joan rencontre finalement Salma Hayek, qui incarne la fausse Joan, ne perdez pas le fil, et l’épisode plonge dans le burlesque, hélas.

Dans Loch Henry, le deuxième épisode à la forme plus conventionnelle, un jeune couple de cinéastes débarque dans un village écossais pour y tourner une série de true crime à propos d’un détraqué qui a torturé et massacré huit personnes en 1997. Les recherches des documentaristes dégringolent dans un trou très glauque, sans rien divulgâcher.

J’ai beaucoup aimé Démon 79, le cinquième épisode, campé en 1979, à propos d’une vendeuse de souliers dans un grand magasin à rayons du nord de l’Angleterre. Cette jeune femme rangée et douce découvre un talisman, qui libère un démon aux demandes atroces. Si la vendeuse de souliers d’origine indienne ne tue pas trois personnes dans les trois prochains jours, la fin du monde – rien de moins – se produira.

Le ton de l’épisode se balance entre le « slasher » sanguinolent, le drame politique (le pays vit des tensions raciales) et même le thriller psychologique. La vendeuse de souliers se découvre des talents insoupçonnés et développe même de la sympathie pour le diable, présent depuis de longues, longues années et volant l’âme à plus d’un million d’hommes, wou-hou !