Au début des années 1980, un mystérieux virus frappe les communautés homosexuelles partout dans le monde. Frappe… Je devrais plutôt dire décime. En quelques années, des centaines de milliers de personnes en meurent.

Face à ce « cancer gai », les gouvernements demeurent inertes. Nous sommes loin de la rapidité d’exécution observée lors de l’émergence de la COVID-19. C’est dans ce contexte que l’organisme Act Up (AIDS Coalition to Unleash Power) est créé en 1987 à New York.

Rapidement, d’autres sections voient le jour ailleurs dans le monde. Leur rôle : secouer l’opinion publique, anéantir les tabous et fouetter les autorités afin qu’elles bougent. Et ça marche.

En juin 1989, Montréal accueille la 5e Conférence internationale sur le sida. Des responsables d’Act Up New York, dont Blane Mosley, rencontrent des militants québécois. Act Up Montréal voit officiellement le jour en mars 1990.

« Nous étions un noyau d’une vingtaine de personnes, se souvient René Lebœuf, l’un des membres fondateurs. Il fallait agir. Les médicaments étaient hors de prix. La recherche n’avançait pas. Les gens mouraient autour de nous. »

PHOTO RÉMI LEMÉE, ARCHIVES LA PRESSE

Michael Hendricks et René Lebœuf lors de leur mariage

René Lebœuf et son mari Michael Hendricks sont connus du grand public pour avoir été les premiers conjoints de même sexe à se marier civilement au Québec le 1er avril 2004. Ils ont été de plusieurs combats.

Celui d’Act Up Montréal est aujourd’hui raconté dans une exposition que les Archives gaies du Québec (AGQ) présentent dans leurs bureaux de la rue Atateken afin de souligner son 40e anniversaire. Je l’ai visitée en compagnie de René Lebœuf, responsable de l’exposition, mais aussi de Mark Hamilton, un étudiant en histoire de l’Université Concordia qui a agi en tant que co-commissaire, et Pierre Pilotte, coordonnateur du centre de documentation des AGC.

On y voit des banderoles, des affiches et des photos (prises par René Lebœuf) qui témoignent des coups d’éclat d’Act Up Montréal. Car il faut le dire, les coups d’éclat étaient la spécialité des militants d’Act Up.

PHOTO FOURNIE PAR LES ARCHIVES GAIES DU QUÉBEC

L’exposition présentée aux Archives gaies du Québec comporte des banderoles et des affiches utilisées par les militants d’Act Up.

Rappelons la capote géante qui a recouvert l’obélisque de la place de la Concorde, à Paris, en 1993. Cet épisode est montré dans le très beau film 120 battements par minute. Il y a aussi eu la résidence du sénateur Jesse Helms, à Washington, qui a été emballée dans un immense condom.

Au Québec, lors des nombreuses manifs, les principales cibles étaient Robert Bourassa, Marc-Yvan Côté, ministre de la Santé, et Denise Laberge-Ferron, qui fut nommée à la tête d’un comité gouvernemental luttant contre le sida. Ce trio en a pris pour son rhume.

Des militants se sont même rendus à Québec, en février 1992, lors du Carnaval et ont représenté Robert Bourassa en Bonhomme. Quant à Marc-Yvan Côté et Denise Laberge-Ferron, ils sont devenus respectivement la reine et une duchesse.

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Des militants d’Act Up se sont rendus à Québec, au Carnaval de février 1992, et ont représenté Robert Bourassa en Bonhomme.

Les membres d’Act Up Montréal étaient furieux de la mesure du gouvernement d’offrir la gratuité des médicaments aux personnes atteintes du sida à condition qu’elles souffrent également de cancer, de tuberculose ou de fibrose kystique.

« L’objectif d’Act Up était de déranger, dit René Lebœuf. Plusieurs gais trouvaient qu’on en faisait trop. On voulait aussi toucher les gens avec l’émotion. Je me souviens de cette marche où des femmes portaient un masque funéraire et où on sonnait le glas avec une cloche. Des passants étaient figés sur les trottoirs. »

Lors de la première manifestation d’Act Up Montréal, en mars 1990, on a rendu hommage à Joe Rose, un jeune homosexuel mort après avoir été roué de coups par une bande de voyous. Les manifestants se sont couchés par terre lors d’un « die-in ». On a tracé le contour de leur silhouette avec une craie.

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Lors de la première manifestation d’Act Up Montréal, les manifestants se sont couchés par terre pour rendre hommage à Joe Rose, un jeune homosexuel mort après avoir été roué de coups par une bande de voyous.

L’histoire d’Act Up Montréal est aussi celle du parc de l’Espoir qui est situé à l’angle des rues Sainte-Catherine et Panet, dans le Village. Tout cela a commencé par un millier de rubans que des militants ont accroché aux branches des arbres. Le lendemain, des employés de la Ville avaient tout retiré.

De fil en aiguille, un lieu de commémoration a pris forme. Longtemps jugé sinistre avec ses blocs en granit noir, le parc est devenu un endroit accueillant grâce à l’administration actuelle.

Mark Hamilton, nettement plus jeune que René Lebœuf et Pierre Pilotte, est heureux d’avoir pu travailler à ce projet. « C’est important d’avoir une relation avec les autres générations. J’ai découvert plein de choses grâce à eux. »

Pour plusieurs jeunes issus des LGBTQ+, tout semble réglé. Le mariage, le VIH, la reconnaissance des droits. Mais ce n’est pas vrai que tout est réglé. Il y a encore des luttes à faire. Et c’est là que les militants plus âgés peuvent devenir une source d’inspiration.

René Lebœuf

Je vous encourage à aller voir cette exposition qui est à la fois modeste et percutante. Elle vous permettra du même coup de découvrir les locaux des AGQ, un organisme qui réussit à fonctionner avec trois fois rien. « Nous avons deux employés que l’on paye grâce à des programmes d’emploi, explique Pierre Pilotte. Je suis à temps partiel. Quant au loyer, on le paye grâce aux dons qu’on reçoit. »

Les AGQ ne reçoivent aucune aide récurrente de Québec et Montréal. « Nous sommes entre deux chaises, ajoute Pierre Pilotte. Nous ne sommes pas un organisme de lutte ni un centre d’histoire. »

Mais pour le 40e anniversaire de l’organisme, Pierre Pilotte a eu droit à une belle surprise. Un chèque de 70 000 $ est venu d’Ottawa. « Je ne le croyais pas, dit-il. J’ai dû compter le nombre de zéros. »

En effet, plusieurs luttes restent à faire.

L’activisme esthétique d’Act Up Montréal, du 17 juin au 13 août (mardi au samedi). Vernissage le samedi 17 juin, de 14 h à 17 h. Ouvert exceptionnellement les dimanches 6 et 13 août durant Fierté Montréal. 1000, rue Atateken, bureau 201-A

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