Toute oeuvre posthume dégage un parfum de trahison. Nelly Arcan aurait-elle voulu qu'on publie La honte, qui a tant fait jaser cette semaine? Aurait-elle publié ce texte de son vivant, si elle avait vécu plus longtemps? Et sous quelle forme, et avec quelles coupures?

Je suis bien mal placée pour juger ceux qui prennent la décision de publier les inédits des morts. Parce que je suis une lectrice qui les achète - non sans culpabilité. Je sais que nous avons accès dans ces cas-là à de la matière brute, pas encore taillée selon la vision de l'auteur. Or, c'est précisément dans la charcuterie que travaillent les écrivains, pour arriver au plus juste à ce qu'ils veulent dire. Mais on ne peut s'empêcher de vouloir percer leurs mystères, d'où la fascination pour les inédits.

Le texte inachevé de Nelly Arcan, à propos de son passage à Tout le monde en parle, a provoqué un tsunami de commentaires, à la hauteur du poids médiatique de ses sujets. Est-ce un combat entre la force des mots et la force des images? Ou alors simplement le poids de la mort dans un combat qui les opposait?

Toujours est-il que Nelly Arcan, au-delà de sa tombe et malgré elle, aura offert au Québec un cours magistral sur l'autofiction. On aurait pu penser qu'en l'absence de son corps, qui dérangeait tellement, qui faisait écran, on allait se concentrer sur son corpus. Mais ce corps absent, sous terre ou en cendres, personne ne l'imagine, cependant qu'on continue à se demander si son décolleté était trop plongeant ou pas, si sa robe était trop sexy ou pas, si elle l'avait cherché ou pas.

Je me console en rigolant à l'idée que Nelly Arcan aura réussi à nous plonger dans ses obsessions. Tranchant au scalpel dans une fiction ce qui lui était arrivé à TLMEP. Nous qui, deux ans plus tard, ayant accès à ce texte privé, revoyons sur YouTube, en dépeçant chaque réplique, cette entrevue découpée en montage pour les besoins de l'émission. Taillant en rondelles soit Nelly Arcan, soit Guy A. Lepage, selon notre camp. Disséquant sa robe, ses seins, son attitude, son esprit, ses intentions, sa santé mentale, nous transformant en psy de pacotille, en juge ou en bourreau, à partir de bouts d'informations. Le tout hachuré par Twitter et Facebook, ne reste plus que des miettes. Nelly Arcan, obsédée par son image? Fallait pas un doctorat pour le savoir, surtout si on a lu ses livres. Mais regardons-nous aller, ce n'était pas seulement sa névrose personnelle. Une névrose amplifiée par la nôtre qu'elle avait le masochisme d'assumer.

Puis, on tombe sur la photo gagnante du World Press, celle d'une jeune femme afghane, en partie voilée, dont le nez a été tailladé par son mari, photo qui a fait le tour du monde. On pense soudain à la burqa de chair dont parlait Nelly Arcan, aux chirurgies esthétiques qui deviennent la norme et dont elle usait. À ce que l'on croit opposé et qui se rejoint. Et on se demande: mais qu'est-ce que cette obsession à toujours vouloir découper les femmes? Si on peut se poser cette question, c'est en grande partie grâce aux livres de Nelly Arcan.

Le FIL amputé

À six semaines de l'ouverture du Festival international de la littérature, sa directrice, Michelle Corbeil, a appris que Patrimoine Canada avait décidé de lui retirer sa subvention de 65 000$, et cela, malgré un parcours sans faute. Cette amputation majeure, sans anesthésie puisqu'elle est faite à la dernière minute, fera connaître au FIL son premier déficit, ce qui risque de le mettre en péril. La meilleure façon d'aider le FIL, c'est de se précipiter en masse pour voir ses spectacles. Rendez-vous au www.festival-fil.qc.ca