Le monde change, on nous le dit tous les jours - voilà quelque chose qui ne change pas depuis le modernisme, le postmodernisme, et le post-postmodernisme. La mort des critiques est régulièrement annoncée - la revue L'inconvénient a consacré son numéro 42 à ce sujet - dans la tristesse ou la liesse, selon les points de vue. Le critique littéraire a-t-il encore de l'influence? Quand on parle d'influence, de nos jours, on parle surtout d'influence sur les ventes. Une étude de la revue Marketing Science révèle un aspect étonnant de l'impact d'une critique négative sur un livre. D'après son analyse, la critique négative ferait chuter de 15% les ventes d'un écrivain connu... Mais augmenter de 45% celle d'un écrivain inconnu! Paraît-il que les lecteurs finiraient à la longue par oublier le négatif pour ne retenir que le nom de l'auteur. Dans la masse hallucinante de ce qui se publie, tout ce qu'il faut, au bout de compte, c'est de faire parler de soi.

Sur son blogue La République des lettres, le journaliste Pierre Assouline nous guide vers deux dossiers, l'un du New York Times, l'autre du Matricule des Anges, qui abordent le sujet de façons diamétralement opposées. Au New York Times, on a demandé à six critiques réputés d'expliquer pourquoi leur travail compte; au Matricule des Anges, on a plutôt demandé à 2000 abonnés ce qu'ils attendent de la critique littéraire. Qu'on le veuille ou pas, peut-on faire confiance aux critiques dans ce débat où ils sont juge et partie? Un critique défendra toujours son job, quand même. En revanche, les réponses des abonnés du Matricule des Anges sont très intéressantes, voire surprenantes. Car on découvre que les lecteurs attendent BEAUCOUP de la critique. C'est presque un cri du coeur qui se résume à: aidez-nous à y voir plus clair. Mais pas n'importe comment. Soyez indépendants. Ne sombrez pas dans la promotion. Soyez érudits mais lisibles. Soyez engagés. Ayez des partis pris. Faites-nous rêver. Écrivez aussi bien que les écrivains. Dénichez les livres originaux, proposez des découvertes. Et arrêtez de nous faire croire à votre supposée objectivité.

Vaste requête. Elle ressemble à la description de l'homme idéal et parfait, qui, on le sait, n'existe pas.

Ce que l'on remarque depuis quelques années, et plus particulièrement depuis l'avènement des réseaux sociaux, est que les gens deviennent de plus en plus allergiques au ton péremptoire de la critique. Ils ne sont pas dupes qu'il y a un «je» qui se cache derrière le «on» ou le «nous» censé représenter la neutralité. Ils sont devenus avides de sincérité plus que d'objectivité - surtout si cette objectivité repose sur du vide. Le critique doit se mouiller. Ce qui ne le dispense en rien d'appuyer ses affirmations par des arguments et une culture générale solides. Ils en ont marre des «coups de coeur» qu'on leur assène sur la tête sans explications - plusieurs sont en cruel manque de coups de gueule, en fait.

Dans ce type de débat, on finit souvent par tomber dans la grandiloquence des discours sur l'importance et la survie de la littérature. Or, ce que les lecteurs demandent aux critiques n'est pas tant de sauver la littérature avec un grand L - la littérature n'a pas besoin des critiques pour se faire et exister - mais de venir à leur rescousse dans l'immense et sombre entrepôt de livres où ils se promènent en quête de leur «Rosebud». Avec une flamme suffisamment éclairante pour ne pas qu'ils se perdent. Pour le reste, ils savent marcher...

Pour joindre notre journaliste: cguy@lapresse.ca