Une dénonciation pour inconduites sexuelles, une carrière qui s’écroule et, moins de six mois plus tard, une réhabilitation. Dans la foulée de l’annonce du retour prochain de Maripier Morin dans l’émission La faille, un constat s’impose : tout peut aller très vite sur les réseaux sociaux. Or, la forme de justice populaire qui s’y répand souvent par vagues reste imprévisible. Et ressemble à certains égards à un concours de popularité.

Le 7 juillet dernier, l’auteure-compositrice-interprète Safia Nolin lance une bombe sur Instagram en accusant notamment l’animatrice télé et comédienne Maripier Morin de lui avoir fait des avances non sollicitées dans un bar, puis de l’avoir mordue fort à la cuisse, au point d’en garder une ecchymose pendant deux semaines. Le lendemain, Maripier Morin admet ses torts, puis perd des contrats de commandites et se retire de la vie publique pour entamer une thérapie.

Quelques jours plus tard, comme d’autres diffuseurs, Club illico retranche du contenu qui met en vedette Maripier Morin et la première saison de La faille disparaît, pour un temps, de la plateforme de Québecor. Or, moins de six mois plus tard, Maripier Morin obtient une deuxième chance : elle reprendra, a-t-on appris cette semaine, son rôle pour la deuxième saison de la série produite par Pixcom dont le tournage doit s’amorcer en janvier à Québec.

Ce retour dans la sphère publique est-il justifié ou trop rapide ? Comme pour le spectaculaire retrait de Maripier Morin en juillet, c’est l’humeur du public sur les réseaux sociaux qui le décidera, croit Rachel Chagnon, professeure au département des sciences juridiques de l’UQAM.

Est-ce que son mea culpa, son acte de contrition et le fait qu’elle ait perdu des contrats vont faire dire aux gens que Maripier Morin a droit à sa deuxième chance ? Les réseaux sociaux vont nous le dire. À mon avis, ses chances de s’en tirer ne sont pas si mauvaises.

Rachel Chagnon, professeure au département des sciences juridiques de l’UQAM

D’une part, parce que le retour annoncé de Maripier Morin est un risque calculé, estime Mme Chagnon. Elle réapparaîtra dans de longs mois, dans un rôle de fiction, sur une plateforme web. « Si elle était montée sur scène, évalue l’universitaire, on aurait peut-être pu s’attendre à une manifestation, mais personne ne tiendra une pancarte devant son téléviseur. »

« Un concours de popularité »

D’autre part, la cote d’amour joue un rôle primordial au tribunal des réseaux sociaux, croit la professeure. « Maripier Morin est populaire, belle, et certains ne peuvent pas croire qu’elle pourrait s’en prendre à une autre personne sans son consentement, que personne ne voudrait la rejeter, explique la professeure. Ce tribunal populaire a un aspect très concours de popularité. »

Or, Maripier Morin peut compter sur l’appui de beaucoup d’admirateurs. Le 21 juillet dernier, plus de 100 000 personnes ont signé une pétition pour la soutenir, selon une publication Facebook signée par son équipe. Le 19 octobre, elle a publié un mot sur son compte Instagram pour faire le point sur sa démarche et ses prises de conscience. « Je tente chaque jour de devenir une meilleure version de moi-même », écrivait-elle. En quelques heures, sa publication avait été aimée par plus de 60 000 personnes.

Mais les réseaux sociaux restent un tribunal populaire imprévisible, constate Mme Chagnon. « Le niveau d’indignation affiché par certains cet été va-t-il persister ? Contrairement au système judiciaire, il n’y a aucune balise et ce qui s’y passe n’est pas rationnel. Tous ne sont pas crus ou jugés de la même manière… On peut penser à des acteurs et des politiciens qui ont été épargnés par le public, qui décide de tout sur ces réseaux. »

PHOTO FOURNIE PAR RACHEL CHAGNON

Rachel Chagnon, professeure au département des sciences juridiques de l’UQAM et ancienne directrice de l’Institut de recherches et d’études féministes

Le système de justice traditionnel récompense ceux qui admettent leurs torts en réduisant souvent leur peine et punit plus sévèrement les coupables qui nient jusqu’au bout. Sur les réseaux sociaux, ceux qui reconnaissent leurs fautes peuvent le payer très cher et ceux qui nient s’en sortent souvent indemnes.

Rachel Chagnon, professeure au département des sciences juridiques de l’UQAM

Réhabilitation et victimes

Rien non plus n’encadre la réhabilitation d’une personne dénoncée sur les réseaux sociaux, contrairement à ce qui se passe dans le système judiciaire, dont l’un des objectifs est de réintégrer ceux qu’il condamne dans la société. De façon générale, ce vide peut avoir un effet néfaste pour des victimes d’inconduites, croit Me Virginie Maloney, coordonnatrice à L’aparté, un organisme mis sur pied par le milieu culturel québécois pour soutenir les victimes et les témoins de harcèlement ou de violences au travail. « Sortir de l’ombre, c’est très demandant psychologiquement, rappelle l’avocate. Si une personne dénoncée qui était hors de nuisance réapparaît vite, il peut y avoir un élément de frustration, un sentiment d’injustice. »

Les sentiments négatifs suscités par une réhabilitation perçue comme trop rapide peuvent démotiver la prise de parole chez certaines victimes, mais pas toujours, croit MMaloney.

« Si un agresseur revient dans l’espace public, dit-elle, ça peut bien sûr faire resurgir des blessures, mais ça peut aussi encourager des victimes restées silencieuses à témoigner. »

Or, la justice populaire donne parfois des résultats rapides, mais peut-être pas durables. Et ce n’est pas le seul risque associé à une dénonciation publique, pense MMaloney. « Parfois, il y a un ressac sur les réseaux sociaux. Il y a aussi des possibilités de poursuite en diffamation ou de contamination des témoignages. Une poursuite au civil ou un processus de médiation, par exemple, peuvent donner de meilleurs résultats. »

PHOTO FOURNIE PAR L’APARTÉ

Me Virginie Maloney, coordonnatrice à L’aparté

Nous ne prenons jamais la décision à la place d’une personne qui se dit victime, mais comme juriste, je ne peux pas recommander une dénonciation publique.

Me Virginie Maloney, coordonnatrice à L’aparté

Les vagues successives de dénonciations n’ont pas que des effets néfastes, reconnaît toutefois l’avocate. « Le seuil de tolérance des comportements inadéquats a baissé dans le milieu culturel, conclut-elle. Le message est passé : ça suffit, on les a assez tolérés. C’est une conséquence positive de tout ça. »