Le Centre Phi présente ces jours-ci une œuvre documentaire bouleversante du photographe irlandais Richard Mosse, qui a filmé pendant près de trois ans le saccage de la forêt amazonienne au Brésil et en Équateur.

C’est le cinquième de la forêt amazonienne qui a été détruit à ce jour. Essentiellement pour exploiter des mines d’or, notamment par des entreprises canadiennes, ou pour cultiver le soya – afin d’élever du bétail. Une déforestation de masse qui a accéléré le réchauffement climatique, en plus d’entraîner une perte de biodiversité.

Le film de Richard Mosse – d’environ 75 minutes – s’ouvre d’ailleurs sur une scène d’une extrême violence où l’on voit un groupe d’hommes armés de tronçonneuses qui abattent d’immenses arbres de la forêt tropicale.

On se demande d’ailleurs comment le photographe, ses deux acolytes et leur interprète ont réussi à filmer ces scènes sans se faire tuer…

Il a fallu qu’on établisse une relation avec eux, parce que ces gens-là commettent des crimes écologiques pour lesquels ils peuvent être emprisonnés. Donc en discutant avec eux, en s’intéressant à eux, à leurs points de vue, en prenant un verre de cachaça, on a été en mesure de les convaincre.

Richard Mosse, photographe

On entend parfois dire que ces campagnes de déforestation permettent au moins à des habitants d’exploiter de petits lopins de terre ou des pâturages. C’est un point de vue, répond le documentariste irlandais.

« Ça leur permet de nourrir leurs familles, mais ils ne gagnent pas beaucoup d’argent. Il ne faut pas oublier que la majorité des terres appartiennent à de grandes multinationales américaines ou brésiliennes et que les récoltes sont d’abord destinées à l’exportation. Le Brésil est l’un des plus importants exportateurs de bœuf au monde. »

La force des images

Le film, projeté sur quatre canaux, représente les forêts du bassin amazonien toujours vigoureuses en rouge, un contraste saisissant avec les zones ravagées et incendiées, qui sont grisâtres.

« Ce sont des images prises d’un hélicoptère, tournées avec une caméra multispectrale, précise Richard Mosse. C’est un système d’information géographique qui révèle l’état de santé d’une forêt ou d’une végétation. Les scientifiques s’en servent pour mener leurs études, mais les multinationales aussi, pour cibler les zones qu’elles veulent exploiter. Donc je trouvais intéressant de me servir de la technologie qui est au cœur de la déforestation. »

Ce faisant, le film de Richard Mosse, au croisement du film sur l’art et du documentaire, crée une friction intéressante, alternant entre des scènes de grande beauté et de désolation.

« Je voulais créer une tension entre l’esthétique et l’éthique, confirme le photographe. La photographie montre les choses qu’il faut voir, c’est la force du documentaire. C’est très puissant parce que ce sont des preuves visuelles. Mais je voulais marier ce mode-là au film d’art contemporain où le spectateur peut aussi ressentir des émotions, parce qu’ultimement, les gens s’en fichent… »

Plusieurs segments du film représentant les pilleurs de la forêt amazonienne, en particulier dans le nord du Brésil, empruntent l’iconographie et la musique des films western, « qui célèbrent l’individualisme, le libertarianisme, le capitalisme, la conquête et la domination de l’homme sur la nature, ajoute Richard Mosse. Un western en version dystopique. »

Car il n’y a malheureusement pas de fin heureuse à ce western. Et ceux qui font de l’écoanxiété risquent de passer un mauvais quart d’art, malgré la beauté singulière des images.

La déforestation mène à la savanisation du territoire et libère des quantités importantes de dioxyde de carbone. Pas seulement des arbres qui sont abattus, mais de la terre même, ce qui accélère le réchauffement climatique. Encore une fois, si on sait tout ça, c’est grâce à la photographie, dont se servent les multinationales. La caméra est donc complice de ce qui se passe.

Richard Mosse, photographe

Dans un segment du film, une jeune femme autochtone est filmée en train de hurler la souffrance de sa tribu (Yanomami) aux prises avec la présence de mineurs. Elle s’adresse directement à l’équipe de tournage de Richard Mosse : « Faites quelque chose avec ceci, parlez-en à vos pères et vos mères, ne nous filmez pas pour nous filmer, mais pour sensibiliser les gens à ce qui nous arrive. »

PHOTO DAN BRADICA STUDIO, FOURNIE PAR PHI

Des images en noir et blanc représentent la forêt tropicale dévastée.

Richard Mosse a réussi à traduire ce que la jeune femme disait huit mois après le tournage. Il l’a prise au mot, dans l’espoir que les images de son film puissent changer quelque chose.

« John Kerry, chargé de la lutte contre le réchauffement climatique dans l’administration de Joe Biden, a vu le film à Londres et a parlé au président Lula, qui a envoyé l’armée pour installer une barrière afin d’empêcher les mineurs de pénétrer dans le territoire de cette communauté. Mais ce ne sont là que de petits gestes. Pour qu’il y ait des changements durables, il faut que le gouvernement mette en place des politiques beaucoup plus agressives. Il faut surtout changer notre façon de consommer. »

Une dizaine de photographies grand format sont également exposées dans le cadre de cette installation vidéo.

Jusqu’au 3 juillet au Centre Phi. Des supplémentaires sont prévues à l’été.

Consultez la page de l’installation vidéo