L’année marquant le 100e anniversaire de Jean Paul Riopelle s’achève avec cette grande rétrospective au Musée des beaux-arts du Canada qui présente l’évolution de son œuvre, sur cinq décennies de création. Une magnifique histoire de l’art.

Il y a ses œuvres que l’on reconnaît tous. Les mosaïques abstraites, les tableaux faits au couteau à palette sont devenus la signature de Riopelle. Un pan de son travail est quand même toujours méconnu, comme ses collages réalisés avec des tirages rejetés qu’il recyclait – dont une magnifique pièce de 1967, qui fait écho au mouvement du pop art, et qui est présentée à Ottawa. Aussi surprenant que cela puisse être, certaines pièces sont exposées pour la première fois.

Riopelle, à la croisée des temps réunit donc à la fois les œuvres phares et une pratique moins connue à travers les cycles de création de l’artiste. De sa période automatiste dans les années 1940, et même quelques œuvres de jeunesse, à l’apparition des oies, dans les années 1980, et son travail avec la bombe à aérosol, que l’on connaît aussi très bien.

La rétrospective étant présentée de manière chronologique, on suit l’histoire du monde et la vie de Riopelle qui a cessé son travail une dizaine d’années avant sa mort, en 2002.

PHOTO MIKE LALICH, 2019, FOURNIE PAR LE MUSÉE DES BEAUX-ARTS DU CANADA

L’exposition se termine sur cette série grandiose de 1983 : Sans titre, techniques mixtes sur papier, 10 feuilles.

Cette rétro va plus loin, car elle invite aussi d’autres artistes.

D’abord, des artistes que Jean Paul Riopelle a connus – dont Roseline Granet qui a fait de lui une sculpture grandeur nature. Ainsi, c’est Riopelle qui accueille les visiteurs au musée d’Ottawa. Bien joué. On y croisera aussi des créations de ses amis Sam Francis et Alberto Giacometti, notamment, ainsi que de sa compagne Joan Mitchell. Elles viennent appuyer ou mettre en lumière ce que faisait Riopelle à la même époque ou sur un même thème.

On apprécie ce triptyque de Françoise Sullivan réalisé en 2021 qui fait face à un triptyque que Riopelle a réalisé plus de 50 ans avant, en 1967. Les deux artistes, nés la même année, en 1923, ont cosigné Refus global, dont il a été beaucoup question cette année qui marque son 75anniversaire. C’est émouvant de les retrouver dans ce précieux chassé-croisé temporel et artistique, qui devient, finalement, hors du temps.

PHOTO DENIS LEGENDRE, MNBAQ, FOURNIE PAR LE MUSÉE DES BEAUX-ARTS DU CANADA

Triptyque gris, 1967, lithographie de la collection du Musée national des beaux-arts du Québec

Des liens riches

La plus ingénieuse inclusion de cette exposition reste assurément ces œuvres d’artistes dont le travail a été influencé par celui de Riopelle. De près ou de loin.

Très rapidement, au tout début du parcours de la rétrospective, on aperçoit les magnifiques Paysages déplacés II, de l’artiste iranienne Aïda Vosoughi, qui vit maintenant à Montréal. Son mobile veut faire écho aux encres aquarelles que Riopelle a faites dans les années 1950.

Lien indéniable et frappant, l’imposant collage de cartes de hockey réalisé par Marc-Antoine K. Phaneuf en 2013. Si l’artiste confie l’avoir au départ fait comme un pastiche de la forme d’un Riopelle des années 1950, il est un hommage formidable. Un autre chassé-croisé génial – on aimerait croire que la source d’inspiration aurait été amusée de ce « pastiche ».

Plus loin, un squelette fait de morceaux de chaises de plastique par l’artiste canadien Brian Jungen fait face à des pièces de 1973 où Riopelle utilise des rondins en bois. Dans les deux cas, les œuvres sont inspirées de la légende des peuples de Thulé.

Ce dialogue provoqué entre Riopelle et d’autres artistes apporte du dynamisme à une scénographie autrement conventionnelle et sans grande inventivité de la part de notre institution nationale.

On ne s’attendait pas à ce que le musée d’Ottawa invite Robert Lepage à faire la mise en scène de l’exposition, lui qui a rendu un bel hommage au grand maître plus tôt cette année avec son Projet Riopelle – ou peut-être si, ç’aurait été une bien belle idée.

Cela étant dit, on ne jette pas le blâme sur la conservatrice invitée, Sylvie Lacerte, qui a fait un boulot extraordinaire. Sa recherche pour choisir chacune des pièces de la rétrospective s’est étalée sur trois ans.

La structure se tient parfaitement et permet au visiteur de vivre pleinement la progression de l’art de Riopelle. Chacun peut l’interpréter à sa guise et il faut prendre le temps de le faire si on veut profiter de ce rare rassemblement d’œuvres du trappeur supérieur.

Par exemple, les années 1970, période hyper importante – elles le sont toutes ! Riopelle recommence à faire de la peinture à l’huile après une période d’estampes, de sculptures et de collages et il est en rupture avec ses œuvres colorées d’avant et après, notamment avec ses Icebergs, tableaux fabuleux réalisés pour la plupart en 1977.

PHOTO FOURNIE PAR LE MUSÉE DES BEAUX-ARTS DU CANADA

Assurément parmi les œuvres moins connues de Riopelle, la série des jeux de ficelle. Celle-ci, La danse, date de 1971 : techniques mixtes sur papier et toile. Collection Simon Blais. © Succession Jean Paul Riopelle. Avec l’autorisation d’archives du catalogue raisonné de Jean Paul Riopelle.

« Les années 1970 sont les années où il a fait ses voyages dans le Grand Nord, explique Sylvie Lacerte, où tout était blanc et où on ne distingue pas nécessairement l’horizon. » Des voyages marquants pour Riopelle, précise la conservatrice.

C’est dans cet espace que l’on trouve aussi la pièce de l’artiste pluridisciplinaire Caroline Monnet qui travaille beaucoup avec des matériaux de construction. C’est le cas ici puisque son Futur laissé derrière est fait de feuilles de Tyvek et représente un village du Nord, à vol d’oiseau. Sur le plan formel, il se fond avec les Icebergs de Riopelle et forme un dialogue sur le paysage nordique.

Caroline Monnet, Riopelle et les peuples autochtones

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Caroline Monnet

Caroline Monnet voue une grande admiration à Riopelle, « l’artiste le plus coloré et créatif » de son enfance. Le texte qu’elle signe dans le catalogue qui accompagne l’exposition pose néanmoins des questions sur la représentation qu’il a faite des peuples autochtones et des territoires nordiques. « J’avais envie de porter un regard plus critique, plus actuel et plus sociologique », confie Caroline Monnet, en entrevue. « Riopelle a eu des rencontres [lors de ses voyages dans le Nord], mais ces rencontres-là n’ont pas été mises en lumière. C’est lui qui a pris la notoriété de ces expériences et de ces inspirations qu’il est allé chercher chez les autres. » À cette époque, les artistes autochtones sont eux-mêmes totalement exclus du marché de l’art, précise-t-elle. L’artiste multidisciplinaire d’origines anishinaabe et française note au passage qu’il n’y a personne dans les représentations de Riopelle, ce qui perpétue cette image d’une terre inhabitée. Ce faisant, cela pourrait-il avoir contribué à maintenir une représentation dénaturée du peuple autochtone en Europe, où les œuvres de Riopelle étaient exposées et vendues ? La question est lancée.

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