Pendant longtemps, Marie-Jo Thério a cru qu’elle n’avait plus besoin de faire de la musique. Jusqu’à ce qu’un jour, elle réalise que – bullshit ! – elle se racontait des histoires. La revoilà sur scène à Montréal avec la matière de La maline, son grand disque de l’an 2000. Ces retrouvailles seront forcément magnétiques.

Il y a quelque chose de sauvage, chez Marie-Jo Thério. L’artiste en elle protège sa liberté, alors que la femme, elle, a quelque chose de l’aventurière. Elle a ses racines au Nouveau-Brunswick, mais vit entre le Québec, la France, le Pays basque et le Costa Rica. En suivant son instinct plutôt qu’un plan de carrière.

« Je me lasse très vite de moi-même, dit-elle. Si on me dit : “Voilà, ça c’est un truc qui marche, on peut faire les choses comme ci ou comme ça”, je vais sûrement trouver une manière de me sauver. » Elle n’a nullement besoin de voir son nom en haut d’une affiche.

J’ai besoin de vrais espaces de vie aventuriers pour ne pas être dans la frime.

Marie-Jo Thério

Son authenticité est son bien le plus précieux et c’est aussi ce qui fait qu’on adhère aux univers qu’elle propose. Il n’y a personne d’aussi tendre et foufou qu’elle, personne d’aussi drôle et touchant, personne d’aussi entier et magnétique. Sa présence, d’une qualité rare, est l’un de ses grands atouts, sur scène comme en entrevue dans un pub de la Plaza Saint-Hubert.

Un beau grand disque

Retournons en arrière. En 2000, Marie-Jo Thério lance La maline, album concocté avec Bernard Falaise et Éric West-Millette qui parle de voyage et qui ne fait pas de surplace musicalement. Son essence est folk, avec un peu de country, mais envisagé dans un esprit de modernité éminemment personnel. Un univers qui tranchait radicalement avec Comme de la musique (1995), disque où elle avait été un peu mise à l’étroit dans les formats de l’époque.

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En décembre 2001, alors que sa tournée Arbre à fruits achevait, Marie-Jo Thério avait été choisie parmi les artistes de l’année de La Presse.

Le succès fut important : plus de 50 000 exemplaires de La maline ont été vendus. Elle en a aussi tiré un spectacle intitulé Arbre à fruits, qui a littéralement chaviré ceux qui ont eu la chance d’y assister. En décembre 2001, alors que sa tournée achevait, La Presse avait d’ailleurs désigné Marie-Jo Thério comme l’une de ses artistes de l’année.

Ce sont ces chansons, dont Café Robinson, T’es le beau Raphaël, L’oiseau de paradis, Another Love Song About Paris, que l’autrice-compositrice-interprète reprendra à la Cinquième Salle de la Place des Arts jusqu’à samedi. Ce faisant, elle renoue avec Freddy, cette jeune fille « un peu naïve », « un peu désemparée face au quotidien », intense et revêche à l’idée de marcher dans les sentiers battus, qui est un peu l’alter ego de la créatrice.

Extrait de Café Robinson

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« Peut-être que Freddy me servait non pas de bouclier, mais disons d’éventail sympathique, que je brandissais devant les gens en disant : ce n’est pas grave, c’est juste Freddy », dit-elle, consciente que la liberté qu’elle affichait il y a 20 ans était assez rare en chanson chez une jeune femme.

Il y avait en effet assez peu d’autrices-compositrices-interprètes à la fin des années 1990 : Mara Tremblay, Sylvie Paquette (qui revient ces jours-ci) et… elle. C’était une époque où, dit la créatrice de La maline, les femmes devaient se justifier de ne pas être des chanteuses à voix. Ce qui fait qu’elle se réjouit d’autant plus du cran des Lou-Adriane Cassidy, Ariane Roy et consorts de nos jours.

« Il n’y a plus la même condescendance, parce que les filles de 25 ans ne le permettraient pas. There’s no way ! s’exclame-t-elle. Alors que nous, on devait serpenter un peu plus, faire preuve de psychologie dans le travail avec les musiciens. C’est vraiment cool ce qui se passe avec les jeunes femmes de 20 ans aujourd’hui. »

Rester vivante

Marie-Jo Thério garde quelque chose de farouche et de jeune, malgré la soixantaine qui approche. Elle possède la même voix, la même vivacité curieuse, la même soif de choses qui font sens qu’il y a 20 ans. Elle revendique le droit de vivre « avec un point d’interrogation sur le front » plutôt que des certitudes.

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Marie-Jo Thério, sur scène, c’est d’abord une présence forte. Ici, au Lion d’Or, en 2007.

Une bibitte comme moi, c’est une bibitte qui essaie d’être vivante.

Marie-Jo Thério

Renouer avec la scène s’avère une bouffée de vie. « Tout ce qui me constitue peut s’y exprimer : la comédienne en moi se rassasie, se réjouit-elle, et la musicienne est capable d’être plus éclatée dans son dialogue avec les autres musiciens. » Retrouver ceux qui aiment ses chansons s’avère une expérience « jubilatoire » pour la créatrice… qui a longtemps cherché à se convaincre que c’était fini pour elle de faire la chanteuse.

Extrait de Where's the Indonesian Woman

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« Je faisais semblant que je n’avais aucun besoin de jouer de la musique depuis les 10 ou 15 ans où je vais régulièrement au Costa Rica, raconte-t-elle. Il y a de la musique partout – du reggae, du calypso, de la musique à tomber par terre – et j’ai juste à la recevoir. Alors je me disais que je n’avais pas besoin d’en faire. »

Elle s’est crue, jusqu’à ce qu’elle réalise que – bullshit ! – elle se dupait elle-même. « J’étais dans la négation d’un vrai désir », comprend-elle aujourd’hui. Une négation d’autant plus forte qu’un bête accident survenu au début de la pandémie l’a laissée « djangoreinhardtisée », comme elle dit. C’est-à-dire avec les doigts d’une main moins mobiles qu’avant.

D’où la présence du pianiste Alexis Dumais au sein de son groupe comprenant aussi le batteur Vincent Carré et ses vieux complices Bernard Falaise et Érik West-Millette. « La pire affaire au monde, c’est de se faire une raison », juge-t-elle. Est-ce à dire que Marie-Jo Thério est revenue pour de bon ? « On verra, dit-elle, flairant le piège. Dans l’instant présent, c’est un beau moment. »

À la Cinquième Salle de la Place des Arts, ce jeudi, vendredi et samedi, à 20 h.

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