Le Musée d’art de Joliette (MAJ) est une destination vivement conseillée pour les amateurs d’art cet automne. Six expositions comblent nos attentes de diversité et de substance. Avec un déploiement fascinant sur l’abstraction au Québec avant l’émergence des Automatistes, réalisé par l’historienne de l’art Esther Trépanier, un hommage mérité à Rita Letendre ou encore deux espaces consacrés à l’art autochtone.

Trois années ont été nécessaires à Esther Trépanier pour venir à bout d’un travail commissarial colossal sur une page méconnue de l’histoire de l’abstraction au Québec. L’ex-professeure et ex-directrice générale du Musée national des beaux-arts du Québec (2008-2011) a voulu célébrer quatre artistes montréalais des années 1940 tombés dans l’oubli après l’émergence, pour ne pas dire le jaillissement, de l’automatisme, en 1948.

Fritz Brandtner (1896-1969), Marian Dale Scott (1906-1993), Henry Rowland Eveleigh (1909-1999) et Gordon Webber (1909-1965) étaient des modernistes avant-gardistes indirectement propulsés dans les ornières de l’histoire de l’art par Borduas et ses disciples. « Comme dirait [l’historien de l’art] François-Marc Gagnon, l’avant-garde n’unit pas, elle sépare », glisse Esther Trépanier.

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Vue de l’exposition concoctée par Esther Trépanier

L’idée de l’expo est née à la suite de l’achat en 2015, par le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), du tableau War Commentary, peint en 1942 par Eveleigh et portant sur la guerre sino-japonaise (1937-1945). Un montage cubiste et surréaliste, avec des références à Guernica, d’une scène de bombardements.

« Je me suis rendu compte que Brandtner, Scott, Webber et Eveleigh avaient régulièrement exposé, notamment au MBAM, à Toronto et ailleurs dans les années 1940, dit Mme Trépanier. Grâce aux articles des critiques d’art, on constate qu’ils se considéraient et étaient perçus comme des artistes abstraits, l’abstraction pouvant être gestuelle, géométrique ou inspirée du réel. »

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War Commentary, 1942, Henry Eveleigh

L’historienne a fait des recherches sur ces artistes, ce qui a abouti à l’écriture d’un livre de 270 pages intitulé Scott, Brandtner, Eveleigh, Webber : revoir l’abstraction montréalaise des années 1940. Ouvrage passionnant dont le contenu est décliné dans l’expo avec des œuvres provenant de collections privées et de grands musées québécois et canadiens, réparties dans quatre salles.

L’expo comprend des affiches de guerre que ces peintres humanistes, antifascistes, ont réalisées pour Ottawa au début de la Seconde Guerre mondiale, ces artistes se questionnant sans cesse sur le rôle social de l’art. Il est fascinant de suivre leurs carrières dans ce parcours lumineux qu’Esther Trépanier a réalisé avec grande énergie, malgré ses problèmes de santé. Voilà une expo, un ouvrage et des recherches majeurs pour la compréhension de l’histoire de l’abstraction au Québec. Chapeau, Madame Trépanier !

L’exposition s’accompagne, de façon indépendante, d’un accrochage de cinq œuvres de la collection du musée intitulé Femmes modernes. Cinq huiles réalisées de 1937 à 1963 par les peintres montréalaises Irène Senécal, Lilias Torrance Newton, Agnès Lefort, Ghitta Caiserman et Rita Briansky.

Art autochtone

Une œuvre murale a été créée dans la salle en façade du musée, où des enfants créent des œuvres en pâte à modeler. Mirwatisiwin est signée par Marie-Claude Néquado, artiste atikamekw de Manawan qui succède à l’artiste Eruoma Awashish. « Ce mur appartient dorénavant au Centre d’amitié autochtone de Lanaudière, dit Jean-François Bélisle, directeur général du MAJ. La murale changera tous les deux ans. Le nouvel artiste sera choisi par le précédent. »

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L’œuvre murale Mirwatisiwin, de Marie-Claude Néquado, dans la salle de travail des écoliers

Mirwatisiwin est consacrée au processus de guérison. Avec deux femmes vêtues d’habits traditionnels, un attrape-rêve et des symboles de plantes médicinales. La salle est allumée en tout temps pour que la murale soit toujours visible de l’extérieur. Le Musée d’art de Joliette a intensifié ses liens avec la communauté autochtone locale depuis la mort de Joyce Echaquan.

Une des grandes salles du musée est réservée à une autre artiste autochtone, Faye HeaveyShield, membre de la Confédération des Pieds-Noirs et de la Première Nation Kanai (Gens-du-sang), en Alberta. Ce premier solo muséal de l’artiste de 69 ans au Québec est scénarisé avec une ambiance de recueillement. On y aborde, en photographie, un hommage aux aînés et une allusion au passé de douleurs. Avec un grand portrait de la grand-mère de Faye HeavyShield côtoyant des photographies (dans une tenue similaire) de ses deux filles et de sa petite-fille. Il manque la photo de sa mère et la sienne, les deux générations qui ont connu les affres des pensionnats qui ont brisé le lien affectif matrimonial.

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À droite, la tapisserie Koohiaak, près de la sérigraphie Morning Glow, 1972

Un hommage posthume est aussi rendu à Rita Letendre, disparue le 20 novembre 2021. Avec une vingtaine d’œuvres de la peintre canadienne abénaquise, des peintures des années 1950 aux années 2000, et Koohiaak, la seule tapisserie qu’elle ait réalisée (avec l’atelier Grimal, en 1976) à partir d’un dessin préparatoire, lui-même exposé.

  • L’espace des Impatients

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    L’espace des Impatients

  • Le bon pasteur, 1723, Antonio de Torres y Lorenzana

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    Le bon pasteur, 1723, Antonio de Torres y Lorenzana

  • Embrase-moi, 1993-2013, Michel de Broin, élément chauffant, contrôleur

    PHOTO FOURNIE PAR LE MUSÉE

    Embrase-moi, 1993-2013, Michel de Broin, élément chauffant, contrôleur

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Un espace est consacré à des œuvres d’artistes de l’organisme Les impatients, qui viennent créer au musée deux jours par semaine. Dans la salle de l’art sacré, le musée a installé une huile du peintre mexicain Antonio de Torres y Lorenzana (1666-1731), Le bon pasteur, acquise en 2012 puis restaurée. « L’œuvre, rarissime, avait une grande déchirure et était toute noire, dit Jean-François Bélisle. On voit maintenant plein de détails. La toile a, depuis, fait l’objet d’un colloque. » Enfin, le musée a greffé à une de ses cimaises la minuscule installation Embrase-moi, de Michel de Broin. Un fil chauffant qui rougit puis s’éteint, et qui nous invite à embrasser ces œuvres réunies au MAJ et qui nous offre un supplément d’âme.

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