Nouvelle exposition, cet automne, à la Fondation Grantham pour l’art et l’environnement. Le commissariat de la Montréalaise Ji-Yoon Han est une invitation à enraciner une démarche écologique dans nos vies. Elle se traduit par Exercices de réciprocité, une expo exigeante d’œuvres d’artistes d’horizons différents. Une expérience enrichissante à 1 h 15 min de Montréal !

Il est toujours un peu gênant de retrouver au même endroit la même qualité que les fois précédentes. La Fondation Grantham, créée il y a trois ans, est de ces centres d’art où l’excellence a le plus souvent rendez-vous. Un calibre qui en fait un lieu de stature internationale dont les résidences artistiques sont convoitées par des créateurs et des chercheurs de tous les continents.

Le milieu de l’art contemporain québécois soutient cet organisme fondé par Bernard Landriault et Michel Paradis. Lors du vernissage d’Exercices de réciprocité, 160 amateurs d’art contemporain étaient présents à Saint-Edmond-de-Grantham, dont des artistes, des directeurs et conservateurs de musées, des galeristes et de grands collectionneurs. Une sorte d’adoubement impressionnant.

L’exposition conçue par Ji-Yoon Han est un véritable plaisir intellectuel. Puissante, bien pensée (durant une année), elle aborde le défi de notre temps, soit l’éthique dont on devra se draper pour respecter un échange juste et équitable entre la nature et nous. On ressort de cette réflexion sur une réciprocité pertinente et urgente, avec le désir que les choses changent et qu’on s’y engage personnellement.

Inspiration de la nature environnante

La commissaire a invité sept artistes — plus ou moins sensibles aux thèmes environnementaux — à effectuer une résidence d’une semaine à la Fondation afin de s’inspirer de ses espaces verts bucoliques. Cela donne une grande variété d’œuvres et de médiums : installations, peinture, photographie, vidéo, sculpture, dessin. Le tout dans un respect de la nation abénaquise, gardienne des terres de Grantham, la commissaire s’étant associée à l’anthropologue et muséologue Nicole O’Bomsawin pour cerner au mieux la notion de réciprocité.

On est accueilli sur le lieu d’exposition par Inscrutable Desires, de Jérôme Nadeau, idéalement intégrée à l’architecture du bâtiment conçu par Pierre Thibault. Un dialogue esthétique et une sorte de camouflage du plus bel effet. L’impression sur toile perforée est formée de lignes éthérées qui serpentent et rappellent autant les tunnels des vers de terre que les « trous de ver » qui, en astrophysique, représentent un raccourci à travers l’espace-temps. L’œuvre est inspirée d’une collection d’images trouvées sur l’internet, reliées à toutes sortes de réseaux. Le réseau, par essence une réciprocité tant réelle que virtuelle.

PHOTO PAUL LITHERLAND, FOURNIE PAR LA FONDATION GRANTHAM

Derrière l’arbre, Inscrutable Desires, de Jérôme Nadeau

Près de la baie vitrée d’où on aperçoit Inscrutable Desires a été installée l’œuvre de Katherine Melançon, Vers un parlement du vivant III — Fougères. Une installation qui découle du plaisir qu’elle a eu de découvrir les fougères qui prolifèrent localement. Elle a créé un parallèle entre ces fougères du boisé et d’autres plantées dans la salle. Avec des écrans vidéo qui traduisent, en mouvements peu perceptibles, la vie chimique de l’environnement des fougères, ce végétal apparu sur Terre en même temps que les premiers insectes, il y a 400 millions d’années.

PHOTO PAUL LITHERLAND, FOURNIE PAR LA FONDATION GRANTHAM

Vers un parlement du vivant III – Fougères, Katherine Melançon. Vue des capteurs pH dans le boisé de la Fondation

À côté, sur un mur, ont été épinglées 125 pochettes aromatiques conçues par Christina Battle, artiste établie à Edmonton, qui n’est pas venue en résidence à Grantham, à cause de l’empreinte carbone que cela aurait générée. Son œuvre est donc une réflexion sur la réciprocité à distance. Elle a envoyé, au printemps, des graines d’hysope anisée de sa région à la Fondation, qui les a plantées. Les pochettes en tissu sont recouvertes d’instructions reliées aux actions écologiques et aux impacts climatiques ou d’images du territoire entre Edmonton et le Québec. Elles contiennent des fleurs séchées que l’on peut sentir en y mettant le nez…

PHOTO PAUL LITHERLAND, FOURNIE PAR LA FONDATION GRANTHAM

across the prairies, alongside the lakes, thru the forests, Christina Battle, vue partielle

De son côté, le Montréalais Adam Basanta a créé in situ Window Mediation (Grantham), une installation qui tient compte de la relation d’intimité entre le bâtiment de la Fondation et la nature environnante. Placée sur une baie vitrée, elle est constituée de morceaux d’écrans d’ordinateur sur lesquels sont diffusées, en boucle, des vidéos tournées sur place, et une retransmission en direct de la vue du boisé.

PHOTO PAUL LITHERLAND, FOURNIE PAR LA FONDATION GRANTHAM

Window Mediation (Grantham), Adam Basanta

L’Ontarienne Mary Anne Barkhouse et la Montréalaise Cynthia Girard-Renard, très versées dans la pratique artistique environnementale, ont aussi fait entrer la nature dans la bâtisse. Avec la suspension de cyanotypes de végétaux réalisés sur des toiles de lin et de coton, pour la première. Et des peintures, pour la seconde, reliées à son intérêt pour les chauves-souris, menacées d’extinction par l’espèce humaine.

PHOTO PAUL LITHERLAND, FOURNIE PAR LA FONDATION GRANTHAM

Œuvres de Cynthia Girard-Renard (petits tableaux d’huile sur lin et jute) et de Mary Anne Barkhouse (cyanotypes sur longues toiles de lin et de coton)

Enfin, on sort du bâtiment pour prendre l’air et découvrir les sculptures sonores de l’artiste Ioana Vreme Moser, installée à Berlin. Des bagues et des colliers entourent des troncs d’arbres. « Son travail découle d’études faites sur la capacité des arbres d’agir comme des antennes, dit Ji-Yoon Han. Les arbres sont sensibles aux ondes électromagnétiques de nos réseaux de communication. Les bagues agissent comme des interfaces de traduction entre l’action de l’arbre comme antenne et son réseau souterrain. »

On est donc censé entendre des petits bruits de grillons. Mais l’œuvre était silencieuse, le jour de notre passage ! Ce qui ne nous a pas empêché de communiquer visuellement et olfactivement avec la nature environnante qui regorgeait de champignons et de feuilles aux couleurs de l’automne…

Exercices de réciprocité, à la Fondation Grantham, jusqu’au 27 novembre.

Consultez le site de la Fondation Grantham