L’artiste multidisciplinaire Caroline Monnet n’est pas seulement porte-parole du World Press Photo 2022, de retour après une pause pandémique : elle en est aussi l’invitée spéciale. C’est en effet dans ce cadre qu’elle présente sa série Ikwewak, qui pose un regard sur les femmes autochtones, entre tradition et vision d’avenir.

Avec Ikwewak (« femmes » en langue anichinabée), Caroline Monnet poursuit son travail de déconstruction de l’image de la femme autochtone telle qu’elle est présentée dans les médias. « Souvent, on la représente en noir et blanc, sinon comme une victime, observe-t-elle. Ce n’est pas du tout les femmes que je vois dans ma famille ou dans mon entourage. »

Les six femmes présentées dans sa série (dont la cinéaste Alanis Obomsawin) regardent directement l’objectif de la caméra et « demandent à être vues et entendues », souligne la photographe, dont les images seront exposées pendant toute la durée du World Press Photo 2022, qui se tient jusqu’au 2 octobre au Marché Bonsecours. Elles portent des costumes imaginés par l’artiste inspirés des motifs traditionnels, mais dans un style qu’elle qualifie de « futuriste ». Une manière pour elle d’évoquer un avenir à construire ensemble, dans un esprit d’égalité entre les peuples et les personnes, où les femmes joueront un rôle de premier plan.

Le changement, selon moi, passe par les femmes. En particulier dans les communautés autochtones parce qu’on est des sociétés matriarcales et que ce sont elles qui, à la base, y prennent les décisions.

Caroline Monnet

Il en est de même dans la communauté artistique. Parmi les nouvelles voix autochtones qui émergent ces dernières années – dont Caroline Monnet fait partie –, beaucoup sont des femmes : les écrivaines Naomi Fontaine et Natasha Kanapé Fontaine, l’artiste visuelle Catherine Boivin, les chanteuses Anachnid, Laura Niquay et, bien sûr, Elisapie.

« L’autodétermination des communautés autochtones passe par l’avancement des femmes », insiste Caroline Monnet. Elle évoque avec bonheur un grand mouvement qui porte les artistes de la jeune génération et qui trouve un écho dans un public de plus en plus vaste. « Les peuples québécois ou même canadien sont plus conscients des réalités autochtones, sont plus portés à consommer de la culture autochtone, que ce soit en arts visuels ou en littérature », juge l’artiste, dont le film Bootlegger a remporté de nombreux prix.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

De nombreuses photos ou séries de photos évoquent les incendies de forêt qui sèment la désolation dans différentes régions du monde en cette ère de réchauffement climatique. À gauche, une femme devant un quartier en flammes, en Grèce.

Des photos présentées dans le cadre du World Press 2022, Caroline Monnet retient notamment une série de Matthew Abbott pour le magazine National Geographic, qui montre comment les aborigènes d’Australie maîtrisent les incendies de forêt depuis très longtemps en pratiquant des brûlis préventifs. Ces images résonnent tout particulièrement dans le contexte actuel : l’actualité des derniers mois, voire des dernières années, a été marquée par d’importants incendies notamment dus aux sécheresses provoquées par les changements climatiques. De nombreuses photos de l’exposition témoignent de cette dévastation, de la Russie à l’Indonésie, en passant par la Grèce.

La photo de l’année

Parmi les photos exposées se trouve Kamloops Indian Residential School de la photographe canadienne Amber Bracken. Elle a remporté le prix de la photo de l’année avec ce cliché évoquant la tragédie du pensionnat de Kamloops, en Colombie-Britannique, où les restes anonymes de plus de 200 enfants ont été découverts au printemps 2021. Caroline Monnet trouve « très symbolique » que cette image ait été sélectionnée parmi toutes les photos fortes présentées dans l’exposition.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Kamloops Indian Residential School, d’Amber Bracken, au premier plan à droite, a remporté le prix de la photo de l’année au World Press Photo 2022. Elle a initialement été publiée par le New York Times.

Ce choix témoigne selon elle de la transformation en cours dans le discours politique et dans la société.

On ne peut plus passer sous silence certains enjeux, on ne peut plus faire comme si les Autochtones ne faisaient pas partie de la société. C’est assez extraordinaire comme changement.

Caroline Monnet

L’image d’Amber Bracken « remue plein de choses négatives », reconnaît l’artiste, qui souligne toutefois la présence d’un arc-en-ciel en arrière-plan, comme une touche d’espoir ou d’apaisement.

Plus de 4000 enfants ont perdu la vie dans des pensionnats pour Autochtones au fil des décennies. Lundi, le drapeau des survivants a été hissé sur la colline du Parlement, à Ottawa, à la mémoire des victimes, des survivants et des communautés touchées par les abus et les disparitions survenues dans ces établissements pendant plusieurs générations.

Jusqu’au 2 octobre 2022, au Marché Bonsecours