Le Musée des beaux-arts du Canada, en collaboration avec AA Bronson, dernier membre vivant de General Idea, présente jusqu’au 20 novembre une grande rétrospective consacrée à ce trio d’artistes visuels canadiens qui a eu un écho international substantiel dans les années 1970, 1980 et 1990. L’exposition illustre l’influence de General Idea (GI) dans les domaines artistique et social, son talent multiforme et le caractère précurseur et éclairant de ses interventions.

Pourquoi une rétrospective General Idea en 2022 ? D’abord parce que le conservateur de l’art canadien au MBAC, Adam Welch, a rencontré avant la pandémie AA Bronson, aujourd’hui âgé de 76 ans. Il est le seul survivant de General Idea (GI), Felix Partz et Jorge Zontal étant morts des suites du sida en 1994. Adam Welch a proposé le sujet au musée qui l’a accepté, le MBAC n’ayant jamais rendu un tel hommage à GI.

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Self-Portrait with Objects [Autoportrait avec objets] (détail), 1981-1982, montage, épreuve à la gélatine argentique, 35,6 cm x 27,7 cm. Collection MBAC (1985). © General Idea. Sur l’œuvre : Bronson, Zontal et Partz

Une autre raison réside dans le fait que le trio a abordé, de 1969 à 1994, des thèmes aujourd’hui très actuels tels que la discrimination, le sexisme, l’identité de genre, le populisme ou l’environnement. L’exposition est le plus grand déploiement jamais consacré à General Idea, avec 200 créations, des peintures, dessins, installations, sculptures, photographies, vidéos, etc.

Des oeuvres de General Idea
  • Les sculptures Lundi, mercredi, samedi (1984), de GI, devant l’installation de carreaux en plâtre Cave Canem.

    PHOTO SIMON SÉGUIN-BERTRAND, FOURNIE PAR LE DROIT

    Les sculptures Lundi, mercredi, samedi (1984), de GI, devant l’installation de carreaux en plâtre Cave Canem.

  • Pharma©opia [Pharma©opée], 1992, dirigeables en uréthane et nylon gonflés à l’hélium. Avec l’autorisation de l’artiste. © General Idea.

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    Pharma©opia [Pharma©opée], 1992, dirigeables en uréthane et nylon gonflés à l’hélium. Avec l’autorisation de l’artiste. © General Idea.

  • L’œuvre AIDS développée en papier peint dans une des salles

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    L’œuvre AIDS développée en papier peint dans une des salles

  • Vue de l’exposition General Idea

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    Vue de l’exposition General Idea

  • Magi©Bullet [Médi©ament miracle], 1992, installation avec ballons en mylar gonflés à l’hélium, 25 cm x 65 cm x 25 cm chacun. Defares Collection. Et, au sol, Magi©Carpet [Tapis magi©], 1992, installation avec luminaires fluorescents. Defares Collection. © General Idea.

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    Magi©Bullet [Médi©ament miracle], 1992, installation avec ballons en mylar gonflés à l’hélium, 25 cm x 65 cm x 25 cm chacun. Defares Collection. Et, au sol, Magi©Carpet [Tapis magi©], 1992, installation avec luminaires fluorescents. Defares Collection. © General Idea.

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Il faut se replacer dans le contexte de 1969 pour comprendre l’émergence de GI. Les membres de la jeune génération et leurs parents n’étaient plus vraiment sur la même longueur d’onde. Les jeunes étaient en quête de liberté, de divertissement, d’un avenir meilleur et de libération sexuelle. Ils vont être bien servis par Jorge Zontal, Felix Partz et AA Bronson, trois « mauvais garçons », gais et fiers de l’être, qui vont forcer les médias à parler d’homosexualité à travers leur art. D’homosexualité et de sida, puisque les dix dernières années de leur activité ont été consacrées à sensibiliser l’opinion publique sur les drames de cette maladie, l’importance de fournir aux personnes atteintes des soins de santé adéquats et de ne pas les stigmatiser.

Si General Idea avait été new-yorkais, ses fondateurs auraient été riches et célèbres, écrivait le collègue Christopher Hume du Toronto Star en 1988. Une affirmation juste quand on considère le foisonnement, l’exubérance et l’éclat de GI. Inspiré par le penseur Marshall McLuhan, le groupe a produit ce qu’on appellerait aujourd’hui un art queer. Avec provocation, dérision, irrévérence et humour. Avec l’envie de se positionner à l’opposé de la morale rigide de l’époque, comme on le voit dans l’exposition avec quelques objets à connotation sexuelle, notamment dans le détournement de l’œuvre Cœurs volants, de Marcel Duchamp.

Mais choquer n’était pas le seul objectif. GI s’est attaché à évoquer des sujets universels. Pour faire réfléchir. La condition des gais en faisait partie, oui, mais les artistes ont aussi critiqué les aspects les plus sordides de la culture populaire, notamment de la télévision, la commercialisation de l’art ou encore les menaces à la diversité biologique.

Comme, par exemple, dans leur installation Fin de siècle (trois phoques sur une banquise), qui référait aussi et surtout à leur propre disparition, imminente. Une œuvre gigantesque qui occupe toute une salle du musée et qui fait penser à la peinture The Polar Sea, de Caspar David Friedrich.

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Fin de siècle, 1990, General Idea, installation avec fausse fourrure en acrylique, plastique, paille, polystyrène expansé. Collection Carmelo Graci. © General Idea.

L’expo comprend évidemment des œuvres liées à l’épidémie de VIH-sida, créées après que les artistes eurent déménagé de Toronto à New York, en 1986. La première d’entre elles accueille le visiteur à l’entrée du musée. Il s’agit d’AIDS, célèbre sculpture (mais aussi affiche) créée en reprenant le même graphisme que le LOVE de Robert Indiana. Une œuvre-slogan qui a eu beaucoup de succès, devenant virale comme aujourd’hui une vidéo sur TikTok.

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La sculpture AIDS, devant le MBAC

On retrouve aussi leur parodie, en 1972, du magazine Life qui devient File ! Leurs faux concours de beauté (Miss General Idea) qui critiquaient l’insipidité des émissions télévisées et les clichés les plus éculés. On peut admirer des images de ces concours et lire la lettre d’une femme qui avait finalement refusé d’en faire partie en affirmant que l’initiative était « sexiste ». Une position affirmée prise en 1971…

Bien des œuvres rendent hommage aux artistes que GI adorait : Joseph Beuys, Yves Klein, Tom Thomson, Lucio Fontana, Marcel Duchamp, Piet Mondrian ou encore Gerrit Rietveld. D’autres permettent de les voir en action. Pendant toute la durée de l’expo, le musée permet au visiteur de reporter le visionnement de vidéos de General Idea à son retour à la maison. Ne pas manquer le visionnement de Shut the Fuck Up (1985), diffusée au Musée d’art contemporain de Montréal en 1993 (année de la rétrospective General Idea au Power Plant, à Toronto), une critique du vedettariat. Ou encore les vidéos Test Tube (1979) et Cornucopia (1982).

Visionnez les vidéos de General Idea

Cette rétrospective se rendra en 2023 au Stedelijk Museum d’Amsterdam, le premier musée à avoir présenté une exposition monographique de General Idea, en 1979. À noter que le Musée des beaux-arts du Canada a également édité un catalogue monumental (750 pages) pour accompagner l’exposition. Il comprend toutes les œuvres de General Idea et des textes de prestigieux spécialistes de ce groupe d’artistes qui a su combiner art et responsabilité sociale.

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