Marion Wagschal présente une sélection d’œuvres nouvelles et anciennes (Piece Work), dans l’espace Joe Project que le collectionneur Joe Battat a ouvert dans le quartier Chabanel, à Montréal. Un panorama de quelque 60 ans de création de la peintre et dessinatrice émérite montréalaise… qui n’a pas perdu la main.

Le collectionneur Joe Battat a ouvert l’espace Joe Project l’automne dernier dans l’ancienne manufacture du 99, rue Chabanel Ouest où ont été aménagés des ateliers d’artistes et des salles d’exposition grâce au concours du galeriste Yves Laroche. Joe Battat a fermé sa galerie de la rue Alexandra en décembre 2018, mais il avait de nouveau envie de faire un geste envers les artistes émergents ou non représentés.

« Je voulais que des artistes talentueux, notamment ceux de cet édifice, puissent bénéficier d’un bel endroit pour exposer, dit-il. J’ai loué cet espace pour cinq ans pour faire à peu près cinq expositions chaque année. En même temps, je me suis pris un petit studio dans lequel je fais du dessin et qui est aussi un refuge pour moi quand je veux avoir la paix ! »

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Marion Wagschal expose à Joe Project, dans le quartier Chabanel

Joe Project a étrenné ce nouvel espace avec une expo de Jean-François Lauda, en novembre et en décembre derniers, puis avec une présentation collective, l’hiver dernier. En ce moment, c’est Marion Wagschal qui occupe les lieux avec Piece Work, un ensemble de créations dans lesquelles on retrouve son art figuratif consacré au corps et à la fragilité humaine. Avec des œuvres exposées en 2017 au Musée d’art de Joliette. Et une nouvelle toile, Liber Kinder, réalisée durant la pandémie. « Elle découle d’une lettre de mon grand-père que j’ai trouvée dans un tiroir, raconte Marion Wagschal. Il y a de la mélancolie dans cette œuvre, une analyse par rapport à cette lettre et un hommage à ma mère. »

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Carnival (after a still by Mary Alemany), 1993, huile sur lin (diptyque), 182,9 cm x 350,6 cm

Le tableau montre la mère de l’artiste assise sur une chaise et Marion Wagschal, quand elle avait une quarantaine d’années, étendue à ses côtés lors d’une visite dans sa résidence pour personnes âgées de Snowdon, au début des années 2000. Sa mère tient un miroir et a un bracelet d’identification au poignet. Son visage est reposé, intérieur.

Il y a aussi des aiguilles et un sac blanc, une allusion au takhrikhin, ce vêtement de lin blanc qui habille la personne morte dans la tradition juive. La peinture de Marion Wagschal est toujours un livre ouvert. Un vivier mémoriel. Des pages d’histoires qui composent la texture de l’œuvre. « J’ai aujourd’hui le même âge que ma mère dans ce tableau, dit l’artiste née en 1943. C’est aussi une réflexion sur les différences de conditions politiques et sociales vécues par moi et par ma mère, et sur la fragilité de la vie. »

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Liber Kinder, 2019-2021, huile sur toile, 183 cm x 175 cm

Dans Liber Kinder, on note ce souci du détail, typique de Marion Wagschal. Et si développé qu’il faut avoir le nez collé sur la toile pour constater l’étendue du commentaire pictural de cette œuvre touchante, avec une approche cubiste et des teintes douces, tout à fait appropriées aux thèmes. « J’ai eu beaucoup de plaisir à la faire », dit-elle.

L’artiste a aussi choisi d’accrocher Lime Light Room, une œuvre de 1993 peu connue qui représente un métier à tisser, évoquant l’œuvre de Van Gogh Un tisserand au métier à tisser, de 1884. Un hommage au célèbre peintre et aux ouvriers textiles remplacés de plus en plus par des machines. Avec, discrètement, une allusion au suicide (en était-ce un ?) de Van Gogh, avec une petite corde attachée au métier à tisser.

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Lime Light Room, 1993, huile sur lin, 254 cm x 198 cm

Les amateurs de dessins, d’aquarelles, de portraits et de paysages, les étudiants en art notamment, apprécieront les 70 petites œuvres placées sur trois murs comme un long chemin créatif s’étalant des années 1960 à nos jours. Une sorte de représentation de l’œuvre de Marion Wagschal, évoquant autant son travail préparatoire que son inclination continue à créer. À croquer des inconnus, des vedettes, des amis, quand elle sent une émotion émerger de la personne. Des portraits, des ébauches, des croquis, quelques pochades aussi, inachevées. Des créations oniriques, surréalistes, avec des expressions du visage souvent fascinantes.

PHOTO FOURNIE PAR L’ARTISTE

Untitled, une encre sur papier de 21 cm x 27 cm réalisée par Marion Wagschal quand elle était adolescente.

On trouve aussi quelques photos, dont des polaroids, et des dessins. « Pendant la pandémie, je me suis mise à dessiner à partir de la télévision, dit Marion Wagschal. J’ai beaucoup travaillé puisqu’on n’avait rien d’autre à faire ! Pour moi, c’est très important d’expérimenter, de contempler, de lire, de regarder la télé, de prendre tout ça et de créer. Comme on le fait en s’entraînant au piano. De s’y astreindre deux heures tous les après-midis. Pour profiter des énergies différentes, être fluide, afin de peindre exactement ce que je veux dire. »

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Une œuvre de Marion Wagschal influencée par des intérieurs de Van Gogh

Jusqu’au 18 juin dans l’espace Joe Project

Consultez le site de Joe Project