Son parcours
Lignes électriques, antennes de retransmission, sites industriels, câble transatlantique, édifices de bureaux éclairés la nuit, tout comme des stations de ski. Thomas Kneubühler pose un regard neutre, mais interrogatif sur les traces que laisse l’Homo sapiens technologicus. Né à Soleure, en Suisse alémanique, de parents fermiers, il a un côté terre à terre assez séduisant. Ses études en sciences sociales, couplées à d’autres en histoire de l’art, en font un photographe qui, sans s’engager, pose de bonnes questions universelles.
Ayant fait une maîtrise en photographie contemporaine à l’Université Concordia en 2000, à la suite d’une résidence artistique de six mois à Montréal en 1996, il a un regard particulier. Il lui vient de sa jeunesse militante à Bâle, de sa nature curieuse, de ses goûts cinématographiques (Jean-Luc Godard et Jim Jarmusch) et de sa fascination pour le photographe Robert Frank (1924-2019), qui ne s’est jamais répété et est devenu cinéaste quand il a eu l’impression d’avoir fait le tour de la photographie. Kneubühler utilise d’ailleurs la vidéo quand les sujets qu’il traite sont complexes. Il diffuse ses films dans des festivals internationaux.
Il se rend deux fois par an en Suisse pour des projets artistiques. Lors de la foire Art Basel, il organise des visites pour des marchands d’art. Ces allers-retours lui permettent de développer une carrière sur deux continents. Mais le tournant de sa carrière aura été sa participation à la Triennale québécoise, au Musée d’art contemporain de Montréal, en 2011. L’année suivante, sa participation, avec Isabelle Hayeur et Pascal Grandmaison, à une exposition au Centre culturel canadien de Paris, dans le cadre du Mois de la photo, a contribué à sa notoriété.
Ses ateliers
Thomas Kneubühler est coordinateur au laboratoire Post Image Cluster, qui fait partie du Milieux Institute for Arts, Culture and Technology, un centre de recherche de Concordia. Un labo dont sont membres d’autres artistes comme Hannah Claus, Velibor Božović, Chih-Chien Wang, Raymonde April ou Marisa Portolese. Ce labo est son atelier principal, un lieu de production et de rencontres stimulantes. Mais il a d’autres espaces de travail : son domicile, un petit local du Mile End où il finalise ses œuvres, un à Bâle où il collabore avec le collectif d’artistes VIA, mais aussi la nature, « un atelier » qui l’inspire beaucoup.
Dans l’atelier-labo de Concordia, une cabine d’observation lui permet de vérifier ses tirages avec une lumière neutre avant de calibrer sur ordinateur la qualité de la photo. Il n’utilise Photoshop que pour faire varier la luminosité. Comme dans une chambre noire. « C’est plus facile pour la lumière, mais sinon, je ne change rien dans la photo, dit-il. Je ne veux pas de photo parfaite. J’aime le look documentaire. C’est le concept sous-jacent qui fait de la photo une œuvre artistique. »
Ses travaux
Thomas Kneubühler ne fait pas de l’art pour l’esthétisme, mais pour susciter des réflexions. Il a commencé à creuser ce sillon en 2001 avec Absence, une série de portraits de personnes en train de travailler sur des ordinateurs. Des visages concentrés que l’on reconnaît trop bien aujourd’hui. Et qui documentent la réalité de milliards de Terriens depuis l’essor de l’internet.
Une de ses séries les plus connues est toutefois Office 2000, un travail de 2003 à 2008 sur des édifices du centre-ville montréalais, photographiés la nuit quand les employés ne sont plus là. Même chose en 2009 avec Electric Mountains, des stations de ski prises en soirée, qui a connu beaucoup de succès. L’an dernier, il a créé la série Funkloch, un terme allemand qui évoque ce moment où l’on perd contact avec le monde moderne, quand nos téléphones cellulaires ne captent plus. Il a pris des photos dans les Alpes, quand il se trouvait dans cette situation. La série l’a conduit à publier Alpine Signals, qui comprend 26 paysages de l’Engadine où il y a des antennes de transmission. Pour donner une idée moins bucolique de cette région alpine.
Ses projets
Jusqu’au 16 mai, Thomas Kneubühler est en vedette au Kunstmuseum d’Olten, en Suisse. Son premier solo muséal. In Darkness est une rétrospective de 12 ans de travail déployée dans deux espaces noirs du musée. En même temps, il travaille sur un corpus qui découle d’une résidence en Bulgarie, durant laquelle il a eu l’idée d’évoquer le thème des frontières. « Avant, on ne pouvait sortir de Bulgarie à cause du Rideau de fer, maintenant on ne peut y entrer à cause des réfugiés. Je trouve ça intéressant, ce thème de la frontière, du nationalisme et de l’État-nation. C’est actuel avec ce qui se passe avec Poutine. J’ai récolté pas mal de matériel. Maintenant, je dois faire des choix parmi les nombreuses photos et vidéos que j’ai rapportées. »
Ces choix s’appuieront sur la richesse d’informations des photos. Car ses œuvres se regardent aussi de près, comme celles de Kent Monkman, Karine Giboulo ou Sayeh Sarfaraz. Thomas Kneubühler estime aussi que son regard est de plus en plus nord-américain. Ça l’incite à vouloir le confronter à plus de sujets européens. Il dit avoir une vingtaine d’idées dans sa besace.
« J’en ai toujours plein, dit-il. Mais je n’ai pas d’envies exotiques. J’aime parler d’endroits où je trouve une connexion. Et puis, être précis, cela prend du temps. Alors, je vais à mon rythme, je continue de travailler fort et je profite des expériences de vie qui influencent mon travail… »