« Furieux et déprimé » par la guerre en Ukraine, un jeune peintre montréalais d’origine russe a décidé de faire un geste. Pavel Sokov a peint à l’huile le portrait d’un cosaque ukrainien dont la vente profitera à une association charitable venant en aide aux civils ukrainiens. La Presse l’a rencontré.

Choqué par les images de la guerre que mène la Russie en Ukraine, Pavel Sokov dénonce sur Instagram « le génocide » en cours. Il s’exprime sur l’internet pour « contrecarrer » la propagande du Kremlin auprès de la population russe. Et cette semaine, il a choisi de peindre le portrait d’un cosaque ukrainien, de le vendre 8000 $ US et de verser la somme à un organisme qui soutient les civils ukrainiens. Des impressions à moindre coût sont aussi disponibles.

Consultez le site inprnt (en anglais)

L’artiste qui vit à Montréal n’a mis que 24 heures pour peindre son cosaque. Il a senti une urgence de créer pour être utile. « C’est étrange, dit-il, parce qu’avant cette guerre, je n’ai jamais cru à la notion de pays. Et cet évènement est arrivé. Comme Canadien d’origine russe, ça m’a enragé pendant un mois. J’avais l’impression, fausse bien sûr, que j’étais en partie responsable de l’invasion. Il fallait que j’exprime d’une manière ou d’une autre que j’étais désolé de cette situation. »

Pavel Sokov digère mal que des Russes ne se rendent pas compte « ou ne veulent pas se rendre compte » que des horreurs ont lieu en ce moment en Ukraine. Il a été déçu de constater que même ses parents ne voulaient pas croire aux images de corps de civils éparpillés à Boutcha. « Ils m’ont dit que les mensonges sont des deux côtés, qu’on ne peut savoir tant qu’on ne voit pas de nos propres yeux. J’ai trouvé ça infantile de faire abstraction de la réalité pour ne pas se sentir responsable. Que c’est un manque de courage. »

Cette guerre m’a mis en colère, m’a déprimé, rempli d’une haine que je n’avais jamais ressentie en moi. Je me sentais très mal. J’ai donc pensé que faire quelque chose d’utile serait préférable que d’exprimer quotidiennement ma colère.

Pavel Sokov

Selon l’artiste, Poutine n’arrêtera pas la guerre tant qu’il n’aura pas trouvé une façon de faire croire au peuple russe que son armée l’a emporté. « Mais il va perdre la guerre, car ils vont manquer d’argent », estime-t-il. Cela dit, il ne croit pas que les Russes cesseront de soutenir Poutine. « Mes amis d’enfance me disent qu’ils ne comprennent pas la politique, que Zelensky est un drogué et un juif nazi ! Ils ont peur de l’OTAN. Et pensent que tout est de la faute des Américains, surtout maintenant qu’il y a des sanctions. Je suis optimiste pour l’Ukraine, mais pas pour la Russie. Mais je peux me tromper. »

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Ukrainian Cossack, 2022

En vendant cette toile, il espère apaiser sa conscience, faire son devoir en étant solidaire des Ukrainiens et aussi faire œuvre utile par rapport à l’art réaliste, beaucoup plus développé aux États-Unis qu’au Canada, a-t-il constaté. « Je ne le dis pas seulement pour moi, mais la peinture figurative réaliste mériterait une plus grande place, car c’est très difficile à réaliser. Ça prend beaucoup de travail et de connaissances. J’aime l’art parce que j’aime quand c’est difficile ! »

Pavel Sokov, âgé de 31 ans, vend donc surtout ses œuvres aux États-Unis. Très peu connu au Canada, il a connu une ascension « miraculeuse » à 24 ans quand le magazine Time lui a commandé une peinture… de Vladimir Poutine pour sa une de la Personnalité de l’année 2014, au cas où le président russe serait choisi. Ce ne fut pas le cas. L’œuvre est restée en circulation et a impressionné par sa qualité.

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Vladimir Poutine, peinture à l’huile de Pavel Sokov, 2014

Depuis, il a reçu des commandes de partout dans le monde pour réaliser des portraits. D’Arnold Schwarzenegger ou encore de membres de familles royales de plusieurs pays arabes.

  • Le portrait commandé par Arnold Schwarzenegger, 2020

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    Le portrait commandé par Arnold Schwarzenegger, 2020

  • Arnold Schwarzenegger et son portrait

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    Arnold Schwarzenegger et son portrait

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Il vient de recevoir une nouvelle commande de Bahreïn. « J’ai déjà fait trois peintures pour la famille du prince héritier, dit-il, sans prétention. Je me pose des questions, bien sûr, mais ce sont des gens très gentils, très polis. Ils me respectent alors que je suis juste un gars ordinaire ! Les personnes d’Arabie saoudite dont j’ai fait les portraits étaient plus respectueuses que bien des clients que j’ai eus aux États-Unis. Mais je comprends votre questionnement. »

Quelques œuvres de Pavel Sokov, de 2014 à aujourd’hui
  • Son premier portrait réalisé en 2014

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    Son premier portrait réalisé en 2014

  • Sa première commande de portrait de la famille royale saoudienne, en 2015

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    Sa première commande de portrait de la famille royale saoudienne, en 2015

  • Exemple d’une de ses peintures numériques, 2015

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    Exemple d’une de ses peintures numériques, 2015

  • Premier portrait avec costume, 2016. Prix Artiste de l’année décerné par la plateforme artistique internationale Circle Foundation.

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    Premier portrait avec costume, 2016. Prix Artiste de l’année décerné par la plateforme artistique internationale Circle Foundation.

  • Son portrait préféré de sa compagne, 2018

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    Son portrait préféré de sa compagne, 2018

  • Un homme de Varanasi, ville de l’État de l’Uttar Pradesh, en Inde, 2019

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    Un homme de Varanasi, ville de l’État de l’Uttar Pradesh, en Inde, 2019

  • Portrait d’un marchand rencontré au Maroc, 2019

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    Portrait d’un marchand rencontré au Maroc, 2019

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La famille Sokov est arrivée à Montréal en 2000. Pavel avait 10 ans. Ses parents ont immigré quand la sécurité est devenue inquiétante en Russie, notamment pour l’entreprise de son père. « Ça devenait hors de contrôle, dit l’artiste. Il y avait des attentats contre des gens d’affaires. Mon père a vendu son entreprise et on est venus ici. En Suisse, c’était trop cher et aux États-Unis, on ne pouvait même pas entrer pour une visite. »

Pavel Sokov est un peintre classique, entre réalisme et impressionnisme, dans la ligne figurative du Russe Ilya Répine, du Californien Joseph Todorovitch ou du Vancouverois David Gluck. Doué dans sa jeunesse, il s’est frotté à la peinture numérique, puis a été formé à la peinture à l’huile au Watts Atelier, une école d’art au nord de San Diego. Et ce, à l’âge de 23 ans, après avoir étudié dans un premier temps à la John Molson School of Business, à Concordia.

Le peintre est satisfait de son cosaque. Cela faisait cinq mois qu’il n’avait pas peint, s’étant concentré sur une série d’œuvres NFT qu’il lancera prochainement. « Je trouve qu’il est mieux que ce que je faisais avant, dit-il. J’ai eu beaucoup de plaisir à le peindre, j’étais motivé. » Pavel Sokov adore les cultures « authentiques ». Il voyage pour en connaître davantage. Sa série Stories of the World est un corpus de portraits de gens rencontrés en Inde, au Maroc, en Thaïlande. « J’ai peur que cette diversité de cultures disparaisse. Que tout le monde se ressemble. »

Consultez le site de l’artiste (en anglais)