Témoigner des horreurs humaines avec poésie, c’est ce que la photojournaliste québécoise Adrienne Surprenant a réalisé dans son nouveau projet République centrafricaine — un chapitre caché. Le festival Visa pour l’image, en France, a présenté ses photographies dans sa sélection annuelle. Entrevue avec une photographe qui rend le rêve d’une carrière internationale possible.

(Perpignan) Assise au milieu d’un groupe de photojournalistes invités par Visa pour l’image, Adrienne Surprenant est nerveuse. Normal, elle est à quelques minutes de voir, pour la première fois, son travail projeté sur un écran géant, devant près de 1500 professionnels du photojournalisme.

Qu’est-ce que ça vous fait de voir vos photographies exposées par Visa pour l’image, un des plus prestigieux festivals de photojournalisme ?

C’est intimidant, dans un sens. C’est un festival prestigieux. La première année que j’ai été exposée ici, il y avait des photographes que j’admirais depuis que j’ai commencé la photo.

Quel était votre premier projet présenté à Visa pour l’image ?

C’était en 2015, avec mon reportage En attendant le canal au Nicaragua. [Le reportage d’Adrienne Surprenant a déjà été publié dans La Presse et exposé au Zoom photo festival Saguenay.]

Vous présentez cette fois République centrafricaine — un chapitre caché. Vous y travaillez depuis quand ?

J’ai commencé le projet en 2017. Comme cette année, il y avait des élections dans le pays et une coalition de groupes armés qui s’est créée, l’attention sur le pays dans l’actualité internationale était forte. Je trouvais que le moment pour l’envoyer à Visa était bon.

Votre reportage aborde aussi la question du cannibalisme. Comment avez-vous réussi à en parler aux gens qui en ont été témoins ?

J’ai rencontré le seul psychiatre du pays, qui disait que chaque fois qu’il rencontrait un patient, il lui posait la question : comment dormez-vous la nuit ? […] Dans la langue locale, il n’y a pas de mot pour exprimer le traumatisme ou la dépression. La question débloque la parole des gens. Par la suite, je me suis mise à poser la question. Si les gens voulaient me raconter tout en détail, ils me racontaient tout.

Vous souhaitiez donner une voix aux victimes de ce conflit ?

Je ne pense pas qu’on donne une voix, les gens en ont une. Nous sommes un pont qui peut être emprunté pour que leurs voix soient entendues ailleurs. Publier mes photos va permettre de toucher un plus grand nombre de personnes. […] Au bout du compte, j’ai réussi à leur rendre ce pour quoi ils m’avaient fait confiance. Ce pour quoi ils se sont confiés à moi.

Pourquoi avez-vous décidé de faire carrière à l’étranger ?

Pour moi, ça s’est fait naturellement. […] Nous n’allons pas nous mentir, nous n’avons pas un univers médiatique très florissant au Québec. C’est hyper difficile d’avoir des commandes. J’ai aussi du mal à travailler sur des sujets qui sont proches de moi. Je l’ai fait cette année en travaillant sur les ruelles de Montréal avec une bourse du National Geographic.

Quel est le projet qui vous a amenée vivre en Afrique ?

Mon projet Somaliland sur la sécheresse. C’était une partie d’un projet de trois mois. C’était mon premier sujet difficile. La première fois que tu te lèves le matin et que tu photographies un cadavre peu longtemps après. J’ai vécu en Afrique six ans finalement, principalement au Cameroun.

  • Marcel, le 23 septembre 2019 à Alindao, en République centrafricaine. « Quand j’entends des coups de feu, je me pisse dessus. Ces évènements m’ont rendu comme un mendiant qui demande quelque chose, comme un réfugié dans mon pays », dit Marcel. « Dans le conflit, ce qui s’est passé, j’ai vu un cadavre sur le sol. La personne qui lui avait tiré dessus avait coupé la chair, un muscle coupé tremblait dans la main du tueur. Il a dit : ‟Je vais aller manger ça, je vais aller griller ça.” J’ai eu peur. J’ai rampé au loin. » Depuis lors, quand Marcel ferme les yeux la nuit, la scène se répète, aussi vive que s’il ne dormait pas. « Au moindre bruit, il y a la même peur. »

    PHOTO ADRIENNE SURPRENANT, COLLECTIF ITEM

    Marcel, le 23 septembre 2019 à Alindao, en République centrafricaine. « Quand j’entends des coups de feu, je me pisse dessus. Ces évènements m’ont rendu comme un mendiant qui demande quelque chose, comme un réfugié dans mon pays », dit Marcel. « Dans le conflit, ce qui s’est passé, j’ai vu un cadavre sur le sol. La personne qui lui avait tiré dessus avait coupé la chair, un muscle coupé tremblait dans la main du tueur. Il a dit : ‟Je vais aller manger ça, je vais aller griller ça.” J’ai eu peur. J’ai rampé au loin. » Depuis lors, quand Marcel ferme les yeux la nuit, la scène se répète, aussi vive que s’il ne dormait pas. « Au moindre bruit, il y a la même peur. »

  • Naria, au Bangladesh, un des pays les plus touchés par le réchauffement climatique. Le premier ministre estime que son pays comptera 30 millions de migrants d’ici 2050 résultant de l’augmentation du niveau des eaux, des épidémies et de la surpopulation.

    PHOTO ADRIENNE SURPRENANT, COLLECTIF ITEM

    Naria, au Bangladesh, un des pays les plus touchés par le réchauffement climatique. Le premier ministre estime que son pays comptera 30 millions de migrants d’ici 2050 résultant de l’augmentation du niveau des eaux, des épidémies et de la surpopulation.

  • À Rivas, une quarantaine de personnes bloquent l’autoroute centre-américaine, pour protester contre un canal.

    PHOTO ADRIENNE SURPRENANT, COLLECTIF ITEM

    À Rivas, une quarantaine de personnes bloquent l’autoroute centre-américaine, pour protester contre un canal.

  • Dans l’île d’Ometepe, au milieu du lac Cocibolca, se trouvent deux volcans, le Maderas, et le Concepcion, qui est actif. Le canal traversera le lac Cocibolca, plus grande source d’eau potable en Amérique Centrale.

    PHOTO ADRIENNE SURPRENANT, COLLECTIF ITEM

    Dans l’île d’Ometepe, au milieu du lac Cocibolca, se trouvent deux volcans, le Maderas, et le Concepcion, qui est actif. Le canal traversera le lac Cocibolca, plus grande source d’eau potable en Amérique Centrale.

  • 25 août 2018. Marche dans la ville coloniale et touristique de Granada, au Nicaragua, contre le gouvernement de Daniel Ortega. La tension monte alors que de jeunes manifestants se trouvent à une rue de la marche de supporters de parti au pouvoir, le Front sandiniste de libération nationale (FSLN). Ce jour-là, sur la route entre Granada et la capitale Managua, 21 personnes ont été arrêtées. Parmi elles, des leaders étudiants et une documentariste brésilienne.

    PHOTO ADRIENNE SURPRENANT, COLLECTIF ITEM

    25 août 2018. Marche dans la ville coloniale et touristique de Granada, au Nicaragua, contre le gouvernement de Daniel Ortega. La tension monte alors que de jeunes manifestants se trouvent à une rue de la marche de supporters de parti au pouvoir, le Front sandiniste de libération nationale (FSLN). Ce jour-là, sur la route entre Granada et la capitale Managua, 21 personnes ont été arrêtées. Parmi elles, des leaders étudiants et une documentariste brésilienne.

  • Au centre d’Ainabo, il y a un puits naturel. L’eau est imbuvable depuis 2006. Selon les locaux, l’absence de pluie l’a rendue « salée ». Ils ne l’utilisent que pour se laver avant la prière, nettoyer leurs vêtements ou donner à boire à leurs bêtes. Mais les déplacés qui viennent des régions environnantes la boivent.

    PHOTO ADRIENNE SURPRENANT, COLLECTIF ITEM

    Au centre d’Ainabo, il y a un puits naturel. L’eau est imbuvable depuis 2006. Selon les locaux, l’absence de pluie l’a rendue « salée ». Ils ne l’utilisent que pour se laver avant la prière, nettoyer leurs vêtements ou donner à boire à leurs bêtes. Mais les déplacés qui viennent des régions environnantes la boivent.

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Comment définissez-vous votre travail ?

Je fais du photojournalisme ou de la photographie documentaire. Le truc qui est commun est que tout est décrit, véridique, et je n’influence pas les situations. Je ne fais pas de Photoshop. La base de mon travail est tirée de la réalité.

Êtes-vous une photographe engagée ?

J’espère, oui !

Militante ?

Non ! Mais je ne crois pas à l’objectivité totale du journalisme. Nous choisissons forcément des sujets parce qu’ils nous touchent et nous tiennent à cœur. Donc, forcément, il y a un engagement, mais je ne vais pas prendre parti.

Quels sont vos plans d’avenir ?

De toujours continuer en haut de la profession. Aujourd’hui, j’arrive à gagner ma vie, c’est cool. J’arrive à financer mes projets et à les montrer. Ce sont un peu mes objectifs.

« Elle était lumineuse »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Campo Santo, théâtre municipal de la ville de Perpignan

Quand les applaudissements enthousiastes des spectateurs réunis dans le théâtre municipal de Perpignan se sont fait entendre, la photographe de 29 ans a pu enfin sourire de fierté.

À la sortie de l’évènement, La Presse a recueilli les impressions de Xavier Soule, propriétaire de l’agence Vu : « J’ai trouvé qu’elle était lumineuse par rapport aux autres projections. J’ai découvert un sens de la lumière que je n’avais jamais remarqué dans son travail et qui m’a absolument fasciné. »