L’œuvre de Dany Laferrière apportera une touche de couleur à la fin de l’été montréalais avec Un cœur nomade, exposition à ciel ouvert tirée de ses trois romans dessinés. Regards croisés entre l’écrivain, qui célèbre ses 35 ans de carrière, et le commissaire de l’exposition, Félix Dagenais.

Le parcours de Dany Laferrière

« Moi qui marchais toujours en lisant, voilà qu’on a fait de mon livre un livre dans lequel on peut marcher. »

Rencontré jeudi après-midi juste avant l’inauguration de l’exposition sur la promenade des Artistes, située avenue du Président-Kennedy, juste derrière la Place des Arts, Dany Laferrière ne cachait pas son plaisir de voir son travail affiché dans les rues de Montréal, ville qui l’a vu naître comme écrivain il y a 35 ans.

  • Un des panneaux de l’exposition

    PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

    Un des panneaux de l’exposition

  • Un des panneaux de l’exposition

    PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

    Un des panneaux de l’exposition

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    Un des panneaux de l’exposition

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Il m’est arrivé comme ça des choses si grandioses… Pour m’en sortir, je me dis qu’il ne s’agit pas de moi. Ça, c’est dans ma grande modestie, mais dans ma vanité, je me dis que c’est dans l’ordre des choses. Quand on a écrit sur une ville, quand on l’a peinte et dessinée, quand ses poètes se retrouvent cachés dans chacun de vos livres, on attend toujours ce moment où la ville va répondre.

Dany Laferrière

Cette réponse semble être venue, et « que le livre devienne un livre dans la ville » est donc une sorte de mise en abyme qui le rend particulièrement heureux, surtout en cette fin d’été maussade où les Montréalais ont été privés de tout ce qui rend la ville si festive.

« Au bout de cette morosité, de cette noirceur, de cette panique de vivre un été aussi dégarni qu’un hiver – imaginez, personne dans le centre-ville en été, qui est le plus bel été d’Amérique du Nord ! –, on avait besoin d’une touche de couleur. Et là, dans mes dessins, les gens retrouveront même le Festival de jazz. »

Et la rue Saint-Denis, et Miron, et le TNM, et Pauline Julien… Mais aussi tout le parcours de Dany Laferrière, de Petit-Goâve à Paris, qui est illustré sur ces 42 panneaux.

« En tout, j’ai fait plus de 2000 dessins, j’aurais pu couvrir le centre-ville au complet ! Mais j’aime l’idée du choix, que quelqu’un ait fait son chemin dans cette jungle », dit l’écrivain, qui constate qu’est arrivé le moment où son œuvre n’a plus besoin de lui.

Elle travaille toute seule. Ça commence quand un Félix Dagenais rentre dedans, s’en empare et, pendant trois, quatre mois, en est habité. Et c’est cela.

Dany Laferrière

D’autant qu’au bout du processus, les spectateurs auront droit à un vrai parcours, ajoute Dany Laferrière. « On y entre comme dans un tunnel, et on a l’impression qu’on n’en sortira pas, parce qu’on ne veut pas en sortir ! C’est une exposition, une vraie, pas un apéritif. »

Et qui, de plus, se déroule à ciel ouvert plutôt que d’être statufiée dans un musée, ce qui assure en quelque sorte la continuité du livre. « Je fais marcher le lecteur à l’intérieur du livre, ce n’est pas le livre figé. Car une œuvre n’est jamais terminée, ça avance. Ça avance avec le lecteur. Tout doucement. »

La vision de Félix Dagenais

Félix Dagenais a eu une approche de lecteur pour concevoir l’exposition Un cœur nomade, tirée des planches des trois romans illustrés publiés par Dany Laferrière au cours des dernières années : Autoportrait de Paris avec chats, Vers d’autres rives et L’exil vaut le voyage.

« Avec ses mots et ses images, je me raconte une histoire », nous explique le commissaire, assis à côté de Dany Laferrière. Il y a le parcours personnel et professionnel, bien sûr, mais aussi l’intangible, le rapport à la littérature, le lien avec les différentes villes qu’il a habitées, la poésie.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Félix Dagenais, commissaire de l’exposition

Il a fallu ramasser ça. Y donner un sens : ce petit garçon qui a vécu à Petit-Goâve en Haïti avec sa grand-mère, qui est venu prendre racine chez nous, et qui est allé porter les mots de Miron à l’Académie française. C’est magnifique et fascinant, riche et inspirant.

Félix Dagenais

Félix Dagenais se souvenait du présentateur météo à Quatre-Saisons, avait lu ses livres, mais a dû replonger dans son œuvre pour approfondir la connaissance qu’il avait de son histoire. « La cassure de l’exil, par exemple, je ne la savais pas aussi urgente et menaçante. Et le Montréal des années 80, les rencontres au carré Saint-Louis, c’est un Montréal que je n’ai pas connu et j’ai aimé le découvrir. »

Mais ce qui a surtout touché Félix Dagenais, c’est le rapport intime entre le dessin et l’écriture qu’on sent dans les trois livres.

« Il y a une pureté, une naïveté sans filtre dans ce qu’il présente. » Il n’a pas été facile de choisir dans tout ce foisonnement – en tout, 42 tableaux divisés en sept sections –, mais le principal intéressé lui a donné « tout l’espace » dont il avait besoin. « Des fois il était moins d’accord, on a retravaillé des choses, mais l’œuvre est tellement riche qu’à un moment il fallait faire des choix quand même. »

Toujours inspiré de son œuvre dessinée, L’exil vaut le voyage, court métrage animé de l’ONF en hommage à ses 35 ans de carrière, sera aussi projeté tous les jours en début de soirée sur la façade du pavillon Président-Kennedy de l’UQAM.

Après six mois de travail, Félix Dagenais est très fier du travail accompli. « On a eu le temps de peaufiner. C’est vraiment un livre ouvert, et j’aime que ce ne soit pas dans un musée, mais dans la rue. J’ai surtout hâte de voir les gens. »

Dany Laferrière intervient. « On a hâte de ne pas les voir ! Le plus difficile pour un écrivain, un commissaire, c’est qu’on n’est pas capable de concevoir qu’on ne sera pas là pour voir les gens aimer ça, et les aimer pendant qu’ils aiment ça ! Il faut rêver de cet absolu, d’être aimé même quand on n’est pas là. »

Un cœur nomade, sur la promenade des Artistes, du 20 août au 1er novembre