Le musée McCord rouvre ses portes ce mardi avec Chapleau — Profession : caricaturiste, une exposition sous forme de rétrospective consacrée à la longue carrière de Serge Chapleau, caricaturiste à La Presse depuis 1996. Un journaliste et dessinateur aux multiples talents, reconnu au Canada pour l’excellence de son coup de crayon audacieux et juste.
« Je ne pensais pas que ça m’arriverait, une exposition comme ça, alors que je travaille encore et que j’aime ce que je fais ! »
C’est en effet la toute première expo solo muséale de Serge Chapleau. Une rétrospective qui fait le tour de la vie artistique et professionnelle du caricaturiste le plus célèbre du Québec. Le musée McCord n’a pas lésiné sur les moyens avec l’accrochage de quelque 150 caricatures de Chapleau, la diffusion de vidéos et de photos sur ses réalisations et sa façon de travailler ainsi qu’un espace consacré à son personnage fétiche, Gérard D. Laflaque.
Un grand nombre des œuvres exposées proviennent du Fonds Chapleau du McCord. Depuis 25 ans, le caricaturiste a fait don de plus de 7000 caricatures au musée. L’expo se visite en respectant une distance de 2 m entre chaque visiteur. « Nous limitons l’affluence à 325 personnes en même temps, réparties dans les différentes expositions du musée, dit Ludovic Iop, conseiller aux relations publiques du McCord. L’exposition Chapleau peut en contenir 50 à la fois. »
Le parcours est divisé en quatre sections. La première évoque l’enfance du plus jeune et du plus rebelle d’une fratrie de sept garçons. Le seul des sept à s’être lancé dans les arts, étudiant à l’École des beaux-arts de Montréal de 1964 à 1968.
On découvre ses débuts comme graphiste, ses créations d’affiches, notamment pour les Grands Ballets canadiens, ses premières caricatures dans le journal étudiant Le Polyscope et ses planches de bandes dessinées. Car Chapleau a été très influencé par l’univers de la BD. Gotlib, Don Martin et surtout Franquin, le père de Gaston Lagaffe, Spirou et Marsupilami.
Dans la seconde section, on aborde ses caricatures de la vie culturelle (400 artistes) réalisées dès 1972 pour Perspectives, avant qu’il ne les destine aux publications Weekend Magazine, Le Dimanche, Nous, L’actualité, Le Devoir, 7 jours puis enfin La Presse dès 1996.
Ses caricatures d’artistes couvrent 50 ans de spectacles variés : Jean-Guy Moreau (son grand ami), Marc Favreau, Émile Genest, Normand Brathwaite, Jim Corcoran, Louise Marleau, Roch Voisine, Charles Aznavour, Leonard Cohen, Céline Dion ou encore les Rolling Stones.
« C’est le seul caricaturiste du Québec à s’être autant attardé à caricaturer les artistes », dit le commissaire de l’expo, Christian Vachon, chef, gestion des collections, et conservateur au McCord.
« Ça fait 400 personnes qui ne me parlent plus ! », dit Chapleau en riant. Il ajoute que même si ses caricatures ont souvent été caustiques, il a toujours eu une certaine affection pour les personnes caricaturées.
Tu ne peux pas haïr les gens que tu caricatures. Je fais mienne la phrase du caricaturiste anglais Ronald Searle qui a dit que la caricature doit se pratiquer avec l’adresse du chirurgien et les intentions du boucher !
Serge Chapleau
La passion de la politique
La troisième zone couvre sa véritable passion de caricaturiste, soit la politique locale, nationale et internationale. Quand il arrive à La Presse, Chapleau a déjà 25 ans d’expérience en caricature politique et 6000 caricatures à son crédit.
Christian Vachon a déployé des croquis préliminaires et une cinquantaine de caricatures politiques des 50 dernières années. Des dessins peaufinés, alliant ressemblance et captation d’un sentiment fugace. De Jean Chrétien à Justin Trudeau en passant par tous les maires de Montréal et tous les premiers ministres du Québec. Et les stars de la politique internationale, de George Bush à Donald Trump. Un véritable cours d’histoire en caricatures.
Avec des œuvres marquantes comme celle de Gilles Duceppe portant un bonnet en plastique lors de la visite d’une usine, en 1997. Une caricature qui a fait couler beaucoup d’encre et fait grincer des dents l’ancien chef du Bloc québécois. « Il n’avait pas aimé ça », confirme Serge Chapleau.
L’expo permet d’apprécier la polyvalence, le talent et la maîtrise technique de Chapleau, qui a travaillé autant à la plume, au lavis et au crayon de graphite qu’à l’aquarelle et qui a su s’adapter au dessin sur ordinateur depuis 2014.
« Aujourd’hui, je dessine parfois sur le papier, mais la plupart du temps c’est sur l’ordinateur, car, honnêtement, il y a tellement de possibilités avec le numérique. »
Dans le quatrième et dernier espace intitulé Et Chapleau créa… Laflaque !, on présente les marionnettes qui ont servi à la création de l’émission d’humour diffusée dès 1982 sur le petit écran. On peut notamment voir 10 minutes d’extraits de l’émission. Des œuvres de Chapleau datant des années 70 témoignent que le phénomène Laflaque a toujours été présent dans son esprit. « Laflaque, c’est la flaque d’eau à terre, c’est la déprime, ça va très mal ! dit Serge Chapleau. L’émission Et Dieu créa… Laflaque marchait bien. Au complet, ça représentait une quarantaine d’employés. Ça aurait pu marcher encore un bon bout de temps… »
L’exposition est parsemée d’écrans tactiles qui auraient dû permettre aux visiteurs d’accéder à des dizaines de photographies relatant une période ou une autre de la carrière de Chapleau. Mais les mesures sanitaires ne permettent pas d’utiliser ces écrans. Les visiteurs sont donc invités à se rendre sur le site du musée pour découvrir ces images et quelques vidéos, notamment une dans laquelle on voit Serge Chapleau jouer de l’harmonica avec Plume Latraverse.
Un ouvrage sur la vie de Serge Chapleau sortira en août prochain aux Éditions La Presse. Une vie qu’il aura passée à raconter celle des autres, avec humour et une certaine gravité transmise avec légèreté, sans suffisance. Des caricatures qui ne sont pas que des ébauches graphiques de l’actualité, mais de véritables œuvres d’art, tout à fait à leur place dans un musée.
Alors Chapleau, bientôt à la retraite ? « Quand ils vont m’enlever mon crayon ! dit-il. On s’en reparle dans un an ! J’aime encore ça, dessiner, et je ne poserai jamais mon crayon. »
Chapleau — Profession : caricaturiste, jusqu’au 7 mars 2021, au musée McCord. Infos :
Chapleau en quelques questions
Sa caricature préférée : Gilles Duceppe et son bonnet
Son mentor principal : Franquin
Son personnage politique favori : Jean Chrétien
Le caricaturiste est-il cynique ? « Non, mais les politiciens véreux le sont ! »
Chapleau optimiste ou pessimiste ? « Très optimiste, car je suis témoin en permanence de la bêtise humaine. »