Faute de travaux de transformation, reportés d’un an, le Musée d’art contemporain de Montréal (MAC) se réconforte avec une exposition solide, Braver le monumental, un survol des 28 dernières années de création de Rebecca Belmore. Figure majeure de l’art contemporain canadien, l’artiste ontarienne et anishinaabe est ô combien pertinente.

Braver le monumental est une déclinaison presque identique de Facing the Monumental, concoctée et présentée l’été dernier au Musée des beaux-arts de l’Ontario. Une expo de sculptures, d’installations, de vidéos et de photographies qui illustre combien Rebecca Belmore est toujours ancrée dans le présent.

Braver le monumental, pour Rebecca Belmore, c’est en effet envisager artistiquement et collectivement le passé et l’avenir, tout en étant à l’écoute du temps présent. « Nous faisons face, tous, aux mêmes problèmes, aujourd’hui, donc nous devons y répondre ensemble, dit-elle. Avec force et imagination. Et amour ! »

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Mixed Blessing, 2011, Rebecca Belmore, cheveux synthétiques, veste en coton, perles, ciment de gypse. Collection MBAM.

Tout en évoquant des problématiques autochtones, l’artiste ontarienne de 59 ans atteint, chaque fois, à l’universel en faisant germer un angle politique à partir d’une expérience de vie.

Wanda Nanibush, commissaire torontoise également d’origine anishinaabe et très proche de Rebecca Belmore, présente ainsi un « catalogue de vie » de l’artiste autochtone qui a commencé sa carrière il y a 32 ans avec la performance.

On se fait une idée de son approche performative en regardant d’entrée de jeu une compilation de 10 vidéos de performances créées depuis 1991. Mais également avec The Named and the Unnamed, une installation vidéo qui découle d’une performance présentée à Vancouver en 2002. 

Rebecca Belmore réagissait alors au fait que 60 femmes étaient portées disparues dans le quartier de Downtown Eastside. La même année, Robert Pickton avait été arrêté et accusé du meurtre de certaines de ces femmes. Il reconnaîtra plus tard avoir tué 49 prostituées avant d’être condamné à l’emprisonnement à perpétuité. Au cours de sa performance, Rebecca Belmore avait accroché des pans de sa robe rouge sang sur des poteaux de bois pour les arracher ensuite afin de laisser une trace.

Les œuvres de Rebecca Belmore sont elles-mêmes des traces. « De ce que je pense, de comment je pense, dit-elle. L’art est une manière de vivre pour moi et j’essaie d’être aussi libre que possible. »

PHOTO HENRI ROBIDEAU, FOURNIE PAR LE MAC

Fringe, 2013, Rebecca Belmore, impression numérique, 60 cm x 183 cm.
Collection des Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada © Rebecca Belmore.

Fringe

On trouve dans l’expo une de ses œuvres qui ont fait le tour du monde, Fringe, la photographie d’une femme couchée sur le côté, avec une énorme cicatrice sur le dos. Une œuvre sur la violence faite aux femmes autochtones, mais aussi sur la guérison et l’espoir.

À côté a été placée 1181, une bûche dans laquelle Rebecca Belmore a planté 1181 clous pour honorer les 1181 femmes autochtones mortes ou disparues, selon un rapport de la GRC sorti en 2014.

« Le chiffre est aujourd’hui bien plus grand que ça, observe Rebecca Belmore. Mais j’ai été heureuse des conclusions du rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Et que le génocide ait été reconnu. »

Elle se réjouit qu’un sondage pancanadien mené par Léger ait montré, la semaine dernière, que 53 % des Canadiens partagent la conclusion de l’Enquête et l’utilisation du mot « génocide ». « Enfin », lâche-t-elle.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Détail de l’installation At Pelican Falls, 2017, de Rebecca Belmore, avec la vidéo de Scott Benesiinaabandan (interprétation de Latrell Whiskeyjack)

Pensionnats 

La tragédie des pensionnats autochtones est aussi évoquée dans l’expo avec At Pelican Falls, au moyen de photos de 1955 qui montrent de jeunes autochtones vêtus de salopettes en denim qui leur donnent des airs de prisonniers. Des vêtements dont elle a fait une sculpture au sol suggérant un enfant tentant de s’évader.

PHOTO JOSÉ RAMÓN GONZÁLEZ/MORRIS ET HELEN BELKIN ART GALLERY, FOURNIE PAR LE MACM

Fountain (photographie de production), 2005, Rebecca Belmore, vidéogramme projeté sur une cascade d’eau, son, 2 min 25 s. Dimensions variables pour l’ensemble. Collection du Musée des beaux-arts de l’Ontario.

On trouve au MAC l’installation Fontaine que Mme Belmore a exposée dans le pavillon canadien, à la Biennale de Venise de 2005. Un grand rideau d’eau sur lequel est projetée en boucle une vidéo de 2 min 25 s qui évoque l’importance d’une gestion écologique et raisonnable de l’eau en tant que ressource vitale pour l’humanité.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Vue de l’exposition de Rebecca Belmore au Musée d’art contemporain de Montréal avec, à droite, l’œuvre Tower, 2018,
en acier et argile, créée sur place

L’environnement assujetti au développement économique inquiète l’artiste anishinaabe, même quand il est urbain. Elle l’illustre avec Tower, un empilement de paniers d’épicerie métalliques remplis d’argile, qui suggère, dit-elle, le développement effréné des tours de condos et de bureaux à Vancouver. « Tandis que les sans-abri se promènent dans la rue avec des chariots d’épicerie… », soupire l’artiste, toujours soucieuse de la dignité humaine. 

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Sister, 2010, Rebecca Belmore, impression au jet d’encre sur transparents et lampes fluorescentes, 194,8 cm x 345,1 cm x 20,3 cm (l’ensemble)

« Son art nous invite à regarder où nous en sommes et où nous allons », dit Lesley Johnstone, conservatrice et chef des expositions et de l’éducation au MAC.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

L’artiste Yannick Desranleau près de son installation sculpturale
The Face Stayed East The Mouth Went West, créée en 2014

Parallèlement, le MAC expose des œuvres de sa collection : des éléments des séries Méditations en rouge et Permutations de code de Nadia Myre, deux installations, l’une sculpturale et l’autre vidéo, de Chloë Lum & Yannick Desranleau, ainsi que l’œuvre A Lot of Sorrow, de Ragnar Kjartansson, soit la chanson Sorrow du groupe The National jouée 105 fois durant six heures !

Braver le monumental, de Rebecca Belmore, au Musée d’art contemporain de Montréal, jusqu’au 6 octobre