Un arbre coupé, des «mains complices», une pellicule de film recyclée en cabane: Agnès Varda, rencontrée par l'AFP samedi dernier quelques jours seulement avant son décès, veillait scrupuleusement, assise sur un banc, à l'installation de trois de ses oeuvres dans une exposition dans le centre de la France.

Cette exposition, qui s'ouvre vendredi soir dans la Cour des Jardiniers du château de Chaumont-sur-Loire, aurait dû être inaugurée par Agnès Varda. Pour la nouvelle saison Art et Nature, les organisateurs présentent Trois pièces sur cour, dont deux oeuvres originales de cette artiste. Elle avait dû annuler sa venue en raison de son état de santé.

Elle est décédée des suites d'un cancer dans la nuit de jeudi à vendredi, à l'âge de 90 ans.

La réalisatrice pionnière de la Nouvelle vague, figure du cinéma dans le monde et inspiratrice de générations d'artistes, était venue «plusieurs fois» dans ce château, «comme les gens qui aiment voir des belles choses».

«Je trouve formidable que l'art soit intégré à la nature. C'est une grande joie d'être ici», expliquait-elle à l'AFP, visiblement très fatiguée, fermant les yeux à la recherche du mot juste.

La première oeuvre d'Agnès Varda présentée dans ce château, une exposition de photographies intitulée «à deux mains», est une série de «mains complices» et «amoureuses». Des couples ont joint leurs mains devant son objectif. «Les photos ont été prises avec en fond la toile cirée de ma table de cuisine. Pendant trois mois, mes amis sont venus poser gentiment les uns après les autres», racontait-elle.

«C'était à chaque fois un moment de plaisir calme et doux. Osons être sentimentaux», résumait l'artiste, récompensée en 2017 à Hollywood par un Oscar d'honneur saluant la richesse et la diversité de son oeuvre. Chaque photo est entourée d'une guirlande de toutes petites patates en forme de coeur.

Juste à côté, dans un espace carré, se dresse un arbre. Et pas n'importe lequel. «L'arbre de Nini», un tronc prolongé de ses racines en souvenir d'un épicéa coupé dans la cour de sa maison à Paris, sur lequel sa chatte Nini s'était installée pour bénéficier de la vue.

«Je préfère les arbres seuls aux forêts. Ce que je crée n'est pas conceptuel. C'est graphique, sculptural, en partant d'une réalité simple, en mélangeant toujours du vrai et du faux. Créer ce n'est pas seulement rêvasser. On part d'une petite rêverie et ça devient une oeuvre. Au fond, c'est la définition de l'art contemporain», disait-elle.

«Recyclage artistique»

Et du travail de la plasticienne? «Je n'emploie jamais ce mot. J'aurais trop l'impression de vendre du plastique. Je préfère dire comme les Américains: visual artist».

La précision ainsi apportée, Agnès Varda, canne dans une main et lunettes de soleil dans l'autre, évoquait la troisième oeuvre de son exposition La serre du bonheur, une cabane en forme de serre où poussent des tournesols, réalisée pour la galerie Nathalie Obadia à Paris en mai 2018.

Elle est fabriquée avec la copie entière du film Le bonheur qu'elle réalisa en 1964. Les visiteurs peuvent entrer et voir de plus près les images en transparence. Vingt-quatre images valent une seconde.

«Si vous recolliez les pellicules (2159 mètres), vous pourriez projeter le film en salle», selon Mme Varda.

Entre «récupération» et «recyclage artistique», l'auteure en 2000 du documentaire Les glaneurs et la glaneuse interroge aussi en creux sur le recyclage: «Que fait-on de nos déchets. Autrefois, les pauvres recoupaient bien les pantalons des hommes. Avec le haut, on faisait des jupes. Il y a toujours eu une économie avec les restes».

Le domaine régional de Chaumont-sur-Loire accueille cette année une douzaine d'artistes. Le chinois Gao Xingjian, Prix Nobel de littérature en 2000, présente dans les ailes ouest et sud du château d'oniriques paysages intitulés «Appel pour une nouvelle Renaissance». L'artiste ghanéen El Anatsui a dressé des barques face au fleuve, symbole, selon lui, des «passeurs» oubliés «au service des hommes, des matières et des idées...».