Quatrième solo de Mathieu Beauséjour à la galerie Antoine Ertaskiran, Horizon perdu propose des dessins au graphite, des collages, des sculptures et des vidéos dans une réflexion très personnelle et sensible sur notre monde qui change. Une exposition délicate et pleine de sens...

Depuis six ans, Mathieu Beauséjour s'est passionné pour l'astre solaire, l'associant à des symboles de notre univers capitaliste. Il a évoqué le contrôle, la soumission, le pouvoir et la culture du secret dans nos sociétés modernes. Puis, il a fait une incursion dans l'univers homosexuel en 2017 avec son expo Rendez-vous, présentée au Musée d'art contemporain des Laurentides. 

Son dernier corpus, Horizon perdu, nous a paru particulièrement synthétique de ses réflexions artistiques et intellectuelles des dernières années. C'est somme toute logique quand on réalise qu'il s'agit de la 23e exposition solo de cet artiste qui montre son travail depuis déjà 25 ans cette année. 

La première oeuvre créée pour Horizon perdu est une maquette qui rappelle Abandon, celle qu'il avait exposée à Saint-Jérôme il y a deux ans et qui évoquait une boîte de nuit homosexuelle des années 90, avec ses chaînes d'acier suspendues, son comptoir de bar lugubre et ses escaliers menant à un backroom.

Cette fois-ci, Mathieu Beauséjour s'est intéressé aux cinémas XXX qui ont essaimé dans les grandes villes occidentales depuis 30 ans et qui disparaissent les uns après les autres. La maquette Abandon II : le cinéma représente une de ces salles obscures où est projeté un film sensuel des années 60 qu'il a acheté sur eBay et dans lequel un jeune marin se déshabille dans son lit avant de se coucher. 

Internet bouleversant

L'idée de la maquette s'accorde ainsi avec le thème de l'horizon perdu, de ces endroits qui s'évaporent, des moeurs qui évoluent. L'apparition de l'internet et des réseaux sociaux a bouleversé les habitudes et notamment les lieux de rencontre, ouvrant une nouvelle ère, une perte de repères et la recherche d'un horizon inédit. 

Mathieu Beauséjour incarne ces changements dans ses nouveaux dessins au graphite sur papier noir, une vingtaine d'oeuvres qui expriment toujours autant son sens de l'esthétisme et sa capacité technique d'associer, avec un compas, la délicatesse d'un tracé à une finition quasiment scientifique. 

Pour certains dessins, notamment Horizon perdu (K, L), la trame est telle qu'on a l'impression de voir des fils de soie en lieu et place des traits faits à la règle. Pour d'autres dessins, on note toutefois des imperfections, mais cela est dû, dit l'artiste, à la difficulté de travailler avec un compas ayant un rayon d'action insuffisant. «Mais j'ai trouvé une nouvelle façon de faire, dit-il. On verra ce que ça donne.» 

Il faut contempler ces dessins sombres en imaginant une perspective, un paysage, une promenade, entre ciel et terre ou entre ciel et mer, quand on perd la netteté du lointain en regardant la ligne d'horizon, dans un désert ou depuis un rivage océanique. 

Maurice

Près des dessins encadrés, une échelle étroite en bronze, intitulée Maurice, est posée contre le mur. Symbole de puissance et d'ascension mythique évoquant l'âme en quête de spirituel, quand la perspective se trouble. 

Plus loin, Mathieu Beauséjour a combiné (par association d'idées) 23 reproductions de tableaux du peintre allemand Caspar David Friedrich à des publicités de bars homosexuels des années 70 et 80 en Californie diffusées dans des magazines gais. Autre évocation du monde qui change. Romantisme, ruines antiques, lieux emblématiques pour gais américains de la fin du XXe siècle. L'idée d'évanescence est encore là. 

Enfin, dans une petite salle, l'artiste a créé, dans un coin du mur, No, une installation vidéo avec un autre extrait du même film sensuel américain des années 60 qui montre cette fois-ci un jeune adulte en train de dire «non» de la tête. Allusion au slogan «Non, c'est non» qui accompagne le mouvement actuel invitant les hommes à se départir de comportements déplacés. On a l'impression que le jeune homme est pris dans un piège et refuse ce qui s'en vient... 

Oui, le monde change et génère de nouveaux repères, de nouveaux horizons. Tel est le passage du temps, nous dit Mathieu Beauséjour, qui sait l'exprimer en créant des liens entre chaque oeuvre, donnant à son exposition une belle unité artistique. Et beaucoup de sens. 

Horizon perdu, de Mathieu Beauséjour, à la galerie Antoine Ertaskiran (1892, rue Payette, Montréal), jusqu'au 16 février

Photo Edouard Plante-Fréchette, La Presse

Détail de la maquette Abandon II: le cinéma que Mathieu Beauséjour a réalisée pour figurer l'intérieur d'une salle d'un de ces cinémas XXX montréalais aujourd'hui disparus.