François Gauthier a consacré plus de temps aux œuvres des autres qu’à son art. Il est le grand spécialiste du peintre Serge Lemoyne, à qui il a donné 20 ans de sa vie – il travaille à une grande rétrospective de l’artiste prévue pour l’an prochain à Québec. Il fait également partie du conseil d’administration de la Fondation Armand-Vaillancourt, en plus d’être prof d’arts plastiques. Et par le plus grand des hasards, il s’est retrouvé à exposer ses œuvres au Centre culturel marocain de Montréal, lorsqu’un spécialiste de l’art arabe a vu dans sa technique un procédé mathématique utilisé depuis des siècles par les artistes arabes.

Mentionnons au passage que François Gauthier a une jolie barbe teinte en bleu, qui étonne quand on le rencontre. « Au départ, c’était pour ajouter un peu de fantaisie, explique-t-il, mais c’est aussi pour camoufler le gris envahissant avec l’âge. Mes élèves aiment bien et cela contribue à briser certaines frontières de générations. »

Une frontière culturelle a aussi été brisée, en quelque sorte, avec l’exposition de François Gauthier intitulée Suite cosmique. À son vernissage le 24 mai, la plupart de ses invités n’avaient jamais mis les pieds au Centre culturel marocain de Montréal, qui a ouvert ses portes en 2012. Moi-même, je ne savais pas qu’il était situé à quelques minutes de La Presse, rue Viger. De l’extérieur, le bâtiment n’a l’air de rien, mais à l’intérieur, on découvre avec un certain éblouissement une décoration minutieuse, mosaïques et fresque de bois travaillées par des artistes spécialisés, typiques de l’art marocain. Le directeur du centre, M. Jaâfar Debbarh, me fait visiter les pièces où des centaines de fleur de lys et de feuilles d’érable sculptées à la main s’entremêlent dans une géométrie savante. À chaque étage (parce que c’est à tous les étages), il répète fièrement : « Vous voyez, fleur de lys, feuille d’érable. Fleur de lys, feuille d’érable… »

Le Centre culturel marocain de Montréal est le premier du genre au monde, souligne M. Debbarh, et d’autres sont en projet.

Entièrement financé par le gouvernement du Maroc, ce qui lui donne un statut diplomatique, dit son directeur, il sert à créer un pont entre les cultures, à aider les Québécois d’origine marocaine à s’intégrer à leur société d’accueil tout en gardant un lien avec leur pays d’origine, mais les portes sont ouvertes à tous, et une foule d’activités gratuites y sont proposées, des ateliers de calligraphie aux expositions d’art africain, en passant par des cours de danse et de langues. « Nous avons choisi Montréal parce que c’est une ville exemplaire. Et nous croyons qu’il n’y a rien de mieux que l’art et la culture pour le vivre-ensemble. Ce centre est à vous, il fait partie de votre patrimoine maintenant. François Gauthier est même devenu un grand ambassadeur ! »

Des tableaux qu’on peut chanter

Mais revenons à la curieuse histoire de l’expo de François Gauthier. C’est grâce à un programme du Conseil des arts et des lettres du Québec que l’artiste Mohammed Makhfi, spécialiste de l’art arabe et conseiller pour le Centre culturel marocain, a fait connaissance avec François et sa classe de l’école Jacques-Rousseau à Longueuil. Les deux hommes se sont liés d’amitié, mais c’est en voyant sa technique de travail que Mohammed Makhfi a été renversé. « Je trouvais qu’il y avait une ressemblance dans sa façon de monter ses arabesques ou ses dessins et la façon dont les Arabes font le montage de leurs arabesques. Les similitudes étaient frappantes. J’étais sidéré. » Il mentionne l’artiste français Jules Bourgoin, passionné de l’art arabe au XIXsiècle. « Les brouillons de François Gauthier ressemblent aux plans de Bourgoin, c’en était troublant quand j’ai vu ça, car François est arrivé à cette technique de façon complètement intuitive, seul de son côté ! »

François Gauthier l’admet, il ne connaissait pas grand-chose à l’art arabe quand il a développé sa technique.

« Mohammed m’a envoyé de la lecture sur les carrés védiques chez les hindous et les musulmans et quand j’ai commencé à lire, je me suis rendu compte que c’est exactement ce que je faisais. Je veux m’éloigner de la représentation figurative pour aller au maximum de l’abstraction, à la limite de l’exploration mathématique, loin de toute subjectivité. » Sa série des boucliers s’appuie cependant… sur des tissages traditionnels de fond de chaise des premiers colons de la Nouvelle-France.

C’est un passionné de mathématiques, et de musique, car il a eu, dans une autre vie, une longue carrière de percussionniste au sein des grands ensembles musicaux de Montréal. Son art est entre autres une transposition visuelle de paramètres musicaux. Et soudainement, devant son tableau rempli de cercles de couleurs, il commence à me le chanter comme s’il s’agissait d’une partition !

Je vais être honnête, je n’ai pas tout compris des explications de François Gauthier sur son art complexe et extrêmement codé où il semble chercher humblement quelque magie dans le langage mathématique plutôt qu’en lui-même. La conférence qui aura lieu ce soir au Centre culturel marocain pour la clôture de son exposition sera sûrement passionnante pour cette raison. Mais cette rencontre entre un spécialiste de l’art québécois et un spécialiste de l’art arabe, assurément, a quelque chose de… cosmique.

Conférence sur l’exposition Suite cosmique et l’art arabe, en présence de Jaâfar Debbarh, François Gauthier et Mohammed Makhfi, ce soir, 19 h, au Centre culturel marocain de Montréal, 515, avenue Viger Est. Ouvert à tous.