L’artiste espagnol Joan Miró (1893-1983) a marqué l’histoire de l’art avec son style surréaliste et sa grande variété plastique. L’été prochain, le Musée national des beaux-arts du Québec rend hommage au peintre-poète catalan avec quelque 200 œuvres créées à Majorque, durant les 28 dernières années de sa vie.

C’est à la clairvoyance d’André Gilbert, conservateur aux expositions internationales au Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ), que l’on doit de pouvoir admirer les peintures, sculptures et œuvres sur papier de Joan Miró qui viennent d’être déployées dans les vastes espaces du pavillon Pierre-Lassonde. 

André Gilbert est allé, il y a deux ans, dans l’île de Majorque, dans les Baléares, rencontrer la Fondation Pilar et Joan Miró. Une initiative fructueuse. Mise sur pied peu avant sa mort par Joan Miró, qui désirait léguer sa collection de 6000 œuvres à la ville de Palma, la fondation expose dans les studios majorquins de l’artiste, transformés en musée en 1992, quelques-unes des œuvres qu’on a la chance de découvrir en exclusivité nord-américaine à Québec. 

PHOTO DENIS LEGENDRE, FOURNIE PAR LE MNBAQ

L’exposition Miró à Majorque. Un esprit libre est une collaboration entre le musée et la Fondation Pilar et Joan Miró.

Trente-trois ans après Miró à Montréal, au MBAM, Miró à Majorque. Un esprit libre aborde la dernière période de création de l’artiste, de 1956 à 1983. Sa plus prolifique, puisqu’elle représente le tiers de sa production. 

Dans sa belle demeure de Son Abrines, Joan Miró embrasse la calligraphie japonaise, l’expressionnisme abstrait américain naissant et le désir de transmettre une émotion. Il alterne alors quiétude et dynamisme, avec toujours la capacité d’émerveillement qui a fait sa réputation.

Pessimiste de nature et persévérant, Miró n’a pas peur de l’inconnu. L’expérimentation gestuelle a marqué sa démarche perçue comme un dialogue aventureux avec la matière. « Plutôt que de partir à la recherche de quelque chose à peindre, je commence à peindre, et tandis que je peins, la peinture commence à s’affirmer ou à se suggérer d’elle-même sous mon pinceau », disait-il en 1948. 

PHOTO DENIS LEGENDRE, FOURNIE PAR LE MNBAQ

Salle consacrée aux influences extrême-orientales de Joan Miró

Amour de la nature

Dans les œuvres exposées au MNBAQ, on renoue avec l’amour fusionnel de Miró pour la nature, son goût pour l’artisanat, l’art rupestre et, bien sûr, la poésie. Car il voulait, avant tout, donner un sens poétique à ses créations, des poèmes visuels offerts à l’acuité du regard. 

« Ce qui commande chez moi, disait Miró, c’est le fait plastique et poétique, c’est les associations de formes et d’idées : une forme me donne une idée, cette idée me donne une autre forme, et le tout aboutit à des personnages, à des animaux, à des je-ne-sais-quoi que je n’ai pas prévus. » 

Quatre sections 

PHOTO FRANCESC CATALÀ-ROCA, FOURNIE PAR LE MNBAQ

Joan Miró dans son atelier de San Boter, dans l’île de Majorque, en Espagne, en 1973

L’expo est scindée en quatre sections scénographiées par le designer Jean Hazel. La première, Racines et identité, met au jour les origines et influences de Miró. Son affection et son respect pour Antoni Gaudí, en hommage auquel il a créé une vingtaine d’estampes en 1975. Mais aussi les influences de la Catalogne, de Barcelone et de Paris, où il a longtemps travaillé, rencontrant Picasso et les poètes de l’époque, notamment Tzara, Desnos, Éluard et Artaud. 

Dans la deuxième section, Inspiration, on entre dans l’univers de l’expressionnisme abstrait dont il a puisé la spontanéité et qu’il a alimenté, reconnaîtra Jackson Pollock. Ses grandes toiles énergiques, souvent réalisées sur le sol, à coups de taches et d’éclaboussures, contrastent avec les peintures-poèmes découlant de son premier voyage au Japon en 1966. Des œuvres équilibrées, dépouillées, peu colorées, empreintes d’automatisme et de sa volonté de travailler les espaces et le vide.

Sa signature propre émerge dans la section Signes et symboles. Avec les thèmes de la femme, de l’oiseau, du soleil et de la nuit étoilée. Les formes de Miró ont été interprétées comme des « signes, des structures plastiques et des marqueurs spatiaux », indique André Gilbert, qui rappelle l’importance de Paul Klee dans le cheminement formel de l’artiste catalan. Cinq toiles sur le thème de la femme ont été retenues, de même que Maternité, sculpture réalisée avec un pot de peinture, une calebasse, un caillou et une mâchoire de vache ! 

Durant les 10 dernières années de sa vie, Miró n’a pas hésité à tourner radicalement le dos à ses acquis, souhaitant « révéler quelque chose de neuf ». On le constate dans la salle Métamorphose, avec des œuvres plus sauvages, des sculptures hétérogènes formées d’éléments trouvés et assemblés ou inachevées.

PHOTO FOURNIE PAR LE MNBAQ

Personnage, oiseaux, 1976, Joan Miró, huile, bois et clous sur papier émeri, 171,5 cm x 125 cm. Fondation Pilar et Joan Miró.

Miró disait : « L’important n’est pas de terminer une œuvre, mais de laisser entrevoir qu’il sera un jour possible de commencer quelque chose. » 

L’exposition s’achève dans le repos et la spiritualité, avec de grandes toiles épurées, en noir et blanc, découlant, elles aussi, de voyages au Japon. Ces peintures au calme olympien contrastaient avec son humeur. Miró était découragé à l’idée de voir poindre le bout de son chemin. « Je veux m’en aller en disant merde à tout », avait-il écrit, en français, quelques années plus tôt. 

PHOTO DENIS LEGENDRE, FOURNIE PAR LE MNBAQ

Petit-fils de Joan Miró, Joan Punyet Miró a participé, mercredi dernier, à la visite médiatique de l’exposition, présentant notamment ce bronze de son grand-père, intitulé Maternité, sculpté en 1969. 

« Il avait le sentiment que la vie lui échappait, dit, en entrevue, Joan Punyet Miró, petit-fils de l’artiste. C’était pour lui une énorme frustration, car il voulait continuer à travailler. Il n’a jamais arrêté de travailler, car il désirait conserver la fraîcheur de la liberté du geste. » Grand bien lui fit puisqu’on peut aujourd’hui profiter pleinement de l’art unique de ce génie du surréalisme qui voulait « assassiner la peinture » pour mieux la ressusciter…

Miró à Majorque. Un esprit libre, au MNBAQ, jusqu’au 8 septembre.

Consultez le site du MNBAQ : https://www.mnbaq.org/