Les admirateurs de Cate Blanchett et les amateurs d'histoire de l'art et de politique ont rendez-vous, dès demain, au  Musée d'art contemporain de Montréal (MAC), avec l'installation Manifesto réalisée par l'artiste allemand Julian Rosefeldt. Un hommage aux grands manifestes artistiques et une solide performance de l'actrice australienne.

Créée en 2015, Manifesto est une oeuvre de Julian Rosefeldt qui s'est «amusé» à décortiquer une cinquantaine de manifestes artistiques des XIXe et XXe siècles, puis à en associer des passages, pour en extraire la substance et la confronter au temps présent.

Le vidéaste et cinéaste allemand a tourné dans la région de Berlin 12 courts métrages de 10 minutes dans lesquels Cate Blanchett interprète une journaliste de la télé, une marionnettiste, une chorégraphe, une veuve, un sans-abri ou encore une mère de famille.

Pour chaque film, le personnage et le thème scénique ont été choisis pour être en résonance avec les textes des manifestes qu'elle déclame (en anglais, bien sûr). Ces textes ont des liens entre eux puisque Julian Rosefeldt a regroupé ses extraits de manifestes par affinités. Ainsi, les films abordent 12 courants de l'histoire de l'art et des idées: surréalisme, futurisme, situationnisme, dadaïsme, vorticisme, suprématisme, stridentisme, Fluxus, pop art, minimalisme, architecture et cinéma.

En replongeant dans ces textes à vocation révolutionnaire (dans la mesure où ils sont des appels au changement), Rosefeldt parvient à suggérer un portrait du monde actuel et remet en question l'évolution politique et artistique du monde. Il le fait en usant d'une gymnastique de haut vol, les images et les mots nous guidant vers diverses réflexions et interprétations.

Situationnisme

C'est le cas avec le premier film, Situationnisme, où Cate Blanchett joue un sans-abri qui erre dans un décor de misère et de destruction tandis que les mots du Manifeste blanc de Lucio Fontana nous viennent aux oreilles. Alors que la planète hésite à prendre des mesures fermes pour éviter un drame environnemental et biologique, il est curieux d'entendre les constats de Fontana en 1946: «L'humanité traverse actuellement la crise la plus profonde de son histoire. Le vieux monde se meurt; un monde nouveau est en train de naître. La civilisation capitaliste, qui a dominé la vie économique, politique et culturelle des continents, est dans un processus de décomposition.»

L'actrice est extraordinaire dans ce rôle, avec son regard désespéré et exhortant, mégaphone en main, les artistes à prendre parti dans les décisions de la cité.

Futurisme

Futurisme est aussi une douce critique du conformisme de nos sociétés occidentales. Blanchett y interprète une analyste financière qui, aux côtés de dizaines de collègues, suit chaque jour les cours de la Bourse. Alors qu'ils semblent submergés par le travail, elle lance: «Regardez-nous! Nous ne sommes pas essoufflés... Notre coeur n'a pas la moindre fatigue, car il s'est nourri de feu, de haine et de vitesse», phrases tirées de L'antitradition futuriste, manifeste écrit en 1913 par Guillaume Apollinaire.

Autre écho contradictoire entre le discours et l'image dans Architecture. Cate Blanchett y joue une grutière déplaçant des déchets dans un centre de traitement et évoquant le Manifeste de l'architecture futuriste d'Antonio Sant'Elia, de 1914: «Au loin brille notre matin. Hourra pour la pureté! Pour le cristal! Et que vive tout ce qui est aisé, gracieux, vif, étincelant et la légèreté - vive l'architecture éternelle!»

Une caractéristique de Manifesto surprend. Rosefeldt a synchronisé les seuls moments où Cate Blanchett chante dans chaque film. Retentit alors dans la salle une sorte d'ensemble vocal qui se démarque soudain de la narration.

Dans Vorticisme, le snobisme et les mots creux de certains discours artistiques ressortent. Dans Stridentisme/Créationnisme, une star punk-rock règle ses comptes avec le conservatisme, un verre dans le nez...

Photo Patrick Sanfaçon, La Presse

L'artiste allemand Julian Rosefeldt a réalisé en 2015 Manifesto, installation vidéo sur les manifestes historiques qui met en vedette l'actrice australienne Cate Blanchett. L'oeuvre est présentée au Musée d'art contemporain à partir de demain, jusqu'au 20 janvier.

Il est conseillé de terminer le tour des 12 écrans par Cinéma. Cate Blanchett est une institutrice qui donne un cours d'université à des enfants du primaire! Son discours est un texte d'espoir et de lutte de Werner Herzog, Déclaration du Minnesota, de 1999. Un appel à la liberté de penser et de vivre sans icônes et sans doctrines. Avec des images d'enfants et de pigeons au ralenti, comme une fenêtre ouverte sur un avenir différent.

«Les films montrent la fragilité de nos démocraties et le capitalisme effréné, a souligné, hier, lors de la visite de presse, la chef des expositions et de l'éducation au MAC, Lesley Johnstone. Visuellement, la cinématographie est une vraie splendeur.»

À noter qu'il peut être difficile de suivre la narration, tous les films étant projetés en même temps. Il est conseillé de se munir des dialogues (en les photographiant, par exemple, à l'entrée de la salle), car l'expérience en est nettement améliorée. Il y a tant d'allers-retours entre les images et les mots que cette aide écrite permet de faire des liens que l'on ferait moins facilement sans celle-ci.

Une fois le visionnement terminé, on peut poursuivre la visite dans une salle contiguë avec l'expo Partitions qui présente, dans des vitrines, des documents d'archives reliés à ces manifestes et à ceux ayant été écrits au Canada, dont Refus global. À noter enfin qu'en lien avec Manifesto, Julian Rosefeldt donnera une conférence (en anglais) demain, à 17 h, à l'Université Concordia. L'occasion de questionner l'artiste sur la performance époustouflante de Cate Blanchett...

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Manifesto, de Julian Rosefeldt, au Musée d'art contemporain de Montréal, jusqu'au 20 janvier.

Photo Patrick Sanfaçon, La Presse

Jouant une chef d'antenne, Cate Blanchett échange dans le film Art conceptuel/Minimalisme avec une journaliste en reportage. Mais leurs propos sur l'art conceptuel sont tirés d'écrits de Sol LeWitt, Elaine Sturtevant et Adrian Piper ! Assez comique...