Manifestations, révoltes, mutineries, révolutions, le commissaire français Georges Didi-Huberman a fait le tour de ce qui amène l'homme à protester contre les forces qui l'oppriment. La galerie de l'UQAM et la Cinémathèque québécoise proposent, jusqu'au 24 novembre, une exposition éclairante sur les soulèvements populaires.

Déjà présentée à Paris, Barcelone, Buenos Aires, São Paulo et Mexico, Soulèvements découle des travaux de l'historien de l'art français Georges Didi-Huberman. Celui-ci s'est penché sur les mouvements politiques et sociaux, que ce soit les manifestations, les révoltes, les insurrections, les mutineries ou les émeutes dans l'histoire contemporaine mondiale.

Il en ressort une exposition de peintures, dessins, gravures, photographies, vidéos, sculptures, installations, journaux et documents d'archives. Des oeuvres qui proviennent de l'expo originale de ce commissaire auxquelles s'ajoutent des créations d'artistes québécois et canadiens.

Soulèvements témoigne de ces énergies déployées par les êtres humains qui refusent leurs conditions de vie ou protestent contre celles des autres. En dépeignant leurs actions, leurs slogans et les conséquences de leur détermination. Une expo sur la dignité, sur la solidarité et la force de l'expression populaire.

Désir inaliénable

À la galerie de l'UQAM, elle débute avec une vidéo de Maria Kourkouta, Remontages. Des images en noir et blanc sur des manifs et des affrontements avec les forces de l'ordre. Une oeuvre qui met en relief ce désir inaliénable de l'homme moderne de ne pas se laisser marcher sur les pieds. Un désir qui finit par changer sa vie, voire la vie.

Le désir est indestructible, disait Freud. Il l'a été de tout temps, comme l'illustre ce dessin d'un «torrent révolutionnaire» publié dans le journal parisien Le Charivari en 1834. Une estampe qui découlait de la promulgation d'une loi répressive sur la presse et de la révolte des canuts lyonnais. Dans le dessin, un torrent humain emporte banquier, juge et prêtre... mais dans la réalité, la révolte ouvrière a été réprimée dans le sang.

Dans le même esprit, le dessin de l'artiste Jean Veber Le dompteur a été mangé, de 1904, montre une vague de citoyens emportant un Georges Clemenceau qui essaie de les dompter avec son fouet. Une référence à la répression des grèves qu'a menée, durant son mandat, cet homme d'État français du début du XXe siècle.

Plus proche de nous, l'expo fait état de la guerre civile espagnole, avec une présentation de la Pasionaria Dolores Ibárruri, qui s'est opposée aux horreurs du franquisme. Elle aborde la révolution cubaine, les zapatistes mexicains, la lutte des Noirs aux États-Unis, celle des femmes, celle des Palestiniens ou encore les émeutes qui ont secoué l'Irlande du Nord pendant 30 ans.

Gabor Szilasi

Les photos de Gabor Szilasi sur la révolution de Budapest en 1956 sont saisissantes. D'autres artistes ont immortalisé les soulèvements en Argentine, à l'époque de la dictature, et ceux de Bolivie quand l'exploitation des mineurs, dans les années 40, a provoqué le glissement du pays vers une révolution ouvrière.

Le regard de l'exposition est aussi très contemporain avec l'oeuvre du Chilien Enrique Ramirez sur les migrants qui fuient leur pays. Une vidéo symbolique, Cruzar un muro, sur le droit de circulation des humains garanti par la Déclaration universelle des droits de l'homme. Il pointe aussi les solidarités internationales avec le film The Route du Taïwanais Chieh-jen Chen sur ces dockers qui ont déclenché des actions pour soutenir leurs collègues grévistes de Liverpool en 1995.

Le soulèvement, c'est aussi l'abnégation et la force collective quand la communauté est dans le besoin. L'artiste japonais Tsubasa Kato l'illustre avec sa série Pull and Raise, de laquelle le commissaire a retenu Break It Before It's Broken, de 2015, qui montre des citoyens tirant sur des cordes pour démembrer une vieille baraque de bois de leur village.

L'exposition comprend des références à l'histoire du Canada. Avec Refus global, en 1948, qui a démontré que les mots changent le cours des choses. Avec le printemps érable et des photos très expressives de Mario Jean, le refus de la communauté noire de Montréal de subir du profilage racial et des brutalités policières (une image d'Edouard Plante-Fréchette), ou encore les manifestations étudiantes sur le campus Sir George Williams, à Montréal, en 1969.

La vidéo The Blanket, de Rebecca Belmore, rappelle enfin la volonté génocidaire des autorités britanniques, au XVIIIe siècle, à l'égard des autochtones. Avec ces couvertures infectées de variole qui devaient mater le soulèvement des Amérindiens dirigés par le chef outaouais Pontiac. On y voit l'artiste enveloppée dans une couverture hurler sa douleur et grelottant avant de s'affaisser, inerte.

Des activités sont organisées dans le cadre de l'exposition, notamment une journée d'étude, Des voix qui s'élèvent, qui aura lieu à l'UQAM, le 8 novembre. Des conférences, des tables rondes et des performances qui aborderont une multitude d'enjeux comme «les oppressions, la marginalisation sociale et les exclusions de l'histoire».

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Soulèvements, jusqu'au 24 novembre.

À la galerie de l'UQAM (pavillon Judith-Jasmin, salle J-R120, 1400, rue Berri, Montréal), du mardi au samedi, de 12 h à 18 h. Info: galerie.uqam.ca

À la Cinémathèque québécoise (335, boulevard De Maisonneuve Est, Montréal), du lundi au vendredi, de 12 h à 21 h, et les samedis et dimanches, de 14 h à 21 h. Info: cinematheque.qc.ca