Présence instable, de Rafael Lozano-Hemmer, est la grande expo de l'été à Montréal. Accessible à tous, elle comble les attentes d'une exposition muséale: esthétisme, excellence et profondeur. S'y ajoutent humour, poésie, jeu et connectivité, signature de l'artiste. À voir au Musée d'art contemporain (MAC) jusqu'au 9 septembre.

Le Montréalais Rafael Lozano-Hemmer a le public à coeur. Il l'a donc placé au centre de son oeuvre. Et le coeur est l'organe auquel il fait souvent appel. Pour rappeler qu'il est le moteur de la vie et celui de l'esprit bienveillant. C'est donc avec la prise du rythme cardiaque du visiteur que débute la toute première exposition monographique de Lozano-Hemmer en Amérique du Nord. Inspirée par les sons émis distinctement par les coeurs de ses jumeaux à naître, l'oeuvre Pulsations en spirale (2015) permet de visualiser notre battement le plus intime, converti en lumière grâce à 300 ampoules qui s'éclairent et s'éteignent selon les pulsations de notre coeur.

On croise ensuite 33 questions par minute, une oeuvre qui rappelle les cadavres exquis des surréalistes. Un programme informatique combine des mots pour formuler des questions comme Selon quelle règle faut-il naître?, Pourquoi ne faut-il raisonner? ou Dans quelles cabanes à sucre soupirer? Une illustration de la richesse grammaticale de la langue française, mais une oeuvre un peu frivole qui ne fait pas jaillir l'objectif le plus noble du langage, soit de donner du sens.

Pavillon d'amplification sera très populaire cet été. Dans une salle, des caméras captent l'image du visiteur et la traitent de différentes façons sur trois murs, avant de l'associer à l'image d'un autre visiteur sur le quatrième mur. Une oeuvre qui découle de l'expérience de l'artiste polonais Krzysztof Wodiczko qui, quand il était jeune, ne pouvait parler à une autre personne dans l'espace public sans éveiller les soupçons de la police polonaise. Et qui évoque la surveillance orwellienne à laquelle nous sommes soumis partout. Si la technologie peut être un outil autant utile et narcissique que dangereux, «c'est le langage de notre temps», dit l'artiste.

Pour Faisceau de voix, le visiteur enregistre une phrase ou une brève chanson sur un interphone. Il entend sa voix avant qu'elle soit mêlée (également sous forme de lumière) aux centaines de voix enregistrées auparavant. La plus ancienne voix enregistrée est diffusée pour la dernière fois avant d'être effacée. Ces jours-ci, les enregistrements les plus anciens sont en anglais, car l'oeuvre a été présentée précédemment à Bristol, en Angleterre.

Les jeunes apprécieront Nouvelles évaporées, pour laquelle l'ombre du visiteur est projetée sur un mur. Un ordinateur prend la température de son corps. L'ombre se met alors à émettre de la fumée qui «efface» les lettres des mots d'articles de presse diffusés en direct.

Oeuvre phare de l'expo, Respiration circulaire vicieuse consiste à expérimenter l'air des autres. Le visiteur entre dans un cubicule où il respire un air vicié correspondant à celui expiré par les personnes entrées auparavant dans l'espace. Une activité non recommandée pour les enfants, les femmes enceintes ou les asthmatiques. Une réflexion sur la participation pas toujours bénéfique des gens à des activités collectives. Un regard, aussi, sur la propriété collective de l'air et sur notre responsabilité de le garder respirable. Une méditation, enfin, sur le fait que l'atmosphère est vivante, chargée de l'historique de l'activité humaine. L'air est la mémoire du temps.

Avec Nommer l'eau, on a accès à la poésie d'Octavio Paz exprimée en volutes de vapeur au-dessus d'une surface aqueuse. Une bonne idée, une technique brillante, mais une lecture de bribes poétiques (en espagnol) pas toujours facile.

Photo David Boily, La Presse

33 questions par minute, 2000, Rafael Lozano-Hemmer, ordinateur, logiciel, 20 écrans ACL

Dernier opus de Rafael Lozano-Hemmer, Empilement sphérique: Bach est une sphère dans laquelle 1128 haut-parleurs diffusent les 1128 oeuvres de Jean-Sébastien Bach (1685-1750). On y entend une seule pièce musicale, puis plusieurs, puis toutes les musiques jouées en même temps, ce qui donne une cacophonie qui ressemble aux bruits du public et des musiciens avant l'arrivée du chef d'orchestre dans la salle de concert. Il ne s'agit pas d'une oeuvre sur la musique, mais sur la façon de visualiser l'ampleur de la production d'un compositeur. Dans une pièce suivante, on vit la même expérience avec Richard Wagner, mais la sphère (près de laquelle on colle son oreille) a la taille d'un petit ballon, Wagner n'ayant pas été aussi fécond que Bach...

L'exposition est le fruit de l'intelligence scientifique et artistique de Rafael Lozano-Hemmer. De sa quête permanente de renouvellement et de sa volonté de décliner des recettes parfois anciennes, avec l'aide de ses collaborateurs. Elle a bénéficié du souffle muséal de trois conservateurs, Lesley Johnstone et François LeTourneux, du MAC, et Rudolf Frieling, du MOMA de San Francisco, où l'exposition se rendra en 2020, après un arrêt à Mexico en 2019. 

Présence instable est un bijou d'exposition. Les expériences éphémères que l'on y teste induisent le sentiment que l'art est un riche vecteur de plaisirs, de sensations, de rêverie et de questionnements. «Et sans la présence du public, il n'y a pas d'art», ajoute Rafael Lozano-Hemmer. Et sans l'artiste d'origine mexicaine, la technologie aurait moins de coeur.

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Au Musée d'art contemporain jusqu'au 9 septembre.

Photo David Boily, La Presse

Pavillon d'amplification (Zoom Pavilion), 2015, Rafael Lozano-Hemmer en collaboration avec Krzysztof Wodiczko, projecteurs, caméras infrarouges, ordinateurs, blocs d'éclairage infrarouge, commutateur Ethernet, câbles