Ce qui frappe d'abord quand on visite l'exposition Leonard Cohen - Une brèche en toute chose/A Crack in Everything du Musée d'art contemporain, c'est la présence imposante de cet artiste pourtant très discret.

S'il se faisait rare à la télé et n'était pas constamment en tournée - quoique sa présence n'y ait pas été négligeable au fil de cinq décennies, nous rappelle l'expo -, Leonard Cohen a touché profondément beaucoup de gens par ses écrits et surtout ses chansons, chantées par lui ou par d'autres artistes qui se les sont appropriées à la suite de Judy Collins dans les années 60.

Contrairement à l'expo sur Pink Floyd qu'a montée cette année le Victoria and Albert Museum de Londres, celle du MAC sur Leonard Cohen ne se concentre pas presque uniquement sur la musique. En ce sens, elle fait davantage penser à l'expo David Bowie Is..., qui témoignait de l'influence du chanteur britannique dans plusieurs disciplines artistiques.

N'empêche, comme l'a rappelé hier matin le directeur général du MAC, John Zeppetelli, il fallait absolument que la musique soit au coeur d'une expo sur Leonard Cohen.

Elle l'est dans la relation intimiste que ses chansons ont tissée avec ceux qui les ont écoutées. Le cinéaste israélien Ari Folman, réalisateur du documentaire d'animation Valse avec Bachir, l'illustre parfaitement dans sa « chambre de dépression », inspirée par l'expérience de sa soeur aînée qui, à la suite d'une peine d'amour, s'était enfermée dans sa chambre pour écouter en boucle le premier album de Leonard Cohen pendant des semaines.

On entre seul dans la petite pièce qu'a reconstituée Folman, on s'étend sur le lit et on entend une chanson qui n'est toutefois pas de ce premier album de Cohen: Famous Blue Raincoat. Sur les murs tout autour apparaissent les paroles de ladite chanson et des objets animés, sacrés et profanes, qui font partie du vocabulaire de Cohen. Ces objets convergent tous vers le plafond où ils ensevelissent progressivement l'image en miroir du visiteur.

Mais on ne sort pas du tout déprimé de la boîte d'Ari Folman parce que, comme le dit le titre de l'exposition du MAC, si sombre que soit le propos de Leonard Cohen, il est toujours traversé par la lumière, par la beauté.

La relation très personnelle qu'a entretenue Cohen avec ses auditeurs est tout aussi frappante dans l'interprétation que font de ses chansons des artistes d'âges et de sensibilités différents dans la salle d'écoute où les visiteurs peuvent chiller. Ou méditer, c'est selon.

Parmi ces 18 reprises faites en toute liberté, trois chansons sont relues deux fois de manière très différente, illustrant parfaitement le registre créatif de Leonard Cohen.

Ainsi, alors que Lou Doillon livre une version sur le ton de la confidence, guitare-voix avec quelques bruits en arrière-plan, de Famous Blue Raincoat, Ariane Moffatt en tire une interprétation éclatée et puissante en intégrant çà et là la contribution des musiciens de l'OSM sur un beat électro. Sa longue finale instrumentale est un pur objet de beauté dans lequel on discerne la voix unique de l'artiste célébré qui signe, comme dans sa chanson, quatre fois plutôt qu'une, «sincerely L. Cohen».

De même, la Dance Me to the End of Love de Douglas Dare s'éloigne de la mouture plus fidèle à la chanson d'origine de Basia Bulat en en accentuant la mélancolie. Et l'Anthem atmosphérique des Dear Criminals n'est plus l'hymne quasi religieux de son auteur.

La voix de Leonard Cohen nous accompagne d'une pièce à l'autre de cette exposition. Mais la présence de l'auteur-compositeur-interprète n'est nulle part aussi forte que dans une pièce où est projeté sur de multiples écrans un collage de prestations de certaines de ses chansons les plus connues filmées à la télé, dans des vidéoclips ou sur scène, à ses débuts dans les années 60, au festival de l'île de Wight en 1970 ou en tournée dans les années 80, comme en 2008 et en 2012 lors de son retour triomphal.

À voir absolument de bout en bout.