Une exposition d'oeuvres de Kent Monkman est toujours un événement. Surtout quand elle illustre une autre de ses innovations. L'artiste canadien d'origines crie et irlandaise présente, jusqu'au 4 novembre à la galerie Pierre-François Ouellette art contemporain (PFOAC), quatre surprenants tableaux-vidéos encore inédits à Montréal.

Kent Monkman aime varier ses manières de créer. Alliant classicisme et technologie, peinture et cinéma, ses tableaux-vidéos sont constitués d'une reproduction numérisée d'une de ses toiles - inspirée d'un tableau européen classique -, la reproduction étant surimposée par des images en mouvement. Il ne faut donc pas être surpris, en arrivant dans la galerie PFOAC, d'apercevoir des fils électriques qui pendent sous des cadres de style XIXe!

Exposés l'an dernier à New York, ces tableaux-vidéos présentent des saynètes animées et sonores, de trois à six minutes chacune, que l'artiste figuratif de 52 ans a tournées en s'inspirant des drames qui ont touché des autochtones canadiens aux XVIIIe et XIXe siècles, quand ils étaient emmenés en Europe pour être exhibés, et parfois abandonnés sur place. 

«C'est la raison pour laquelle il y a un programme actuellement pour essayer de rapatrier les ossements de ces autochtones, notamment des Innus, décédés en Europe et enterrés dans des fosses», dit le galeriste Pierre-François Ouellette.

Avec son humour mêlé de gravité, Kent Monkman est parti de ces douloureuses histoires pour mettre en scène son autochtone fétiche «aux deux esprits» (homme et femme), Miss Chief Eagle Testickle, dans des situations diverses. Dans l'un des tableaux-vidéos, Miss Chief se retrouve perdue sur la place Saint-Pierre, au Vatican.

Usant de son charme exotique, elle réussit à attirer près d'elle... un jeune ecclésiastique! L'oeuvre est osée et drôle à la fois, mais on aurait aimé en voir plus!

Dans La transfiguration, un autre tableau-vidéo, Miss Chief sort d'une voiture de luxe intégrée dans le décor du Palatin romain. Elle se penche sur le corps d'une femme étendue sur le sol, blessée. Cette femme est représentée dans le style cubiste de Picasso, comme si Monkman avait décomposé le personnage de La danse aux voiles que le maître espagnol a peint en 1907, pour évoquer les liens entre les cultures amérindiennes et l'art moderne. Miss Chief réconforte la victime et lui offre de l'encens autochtone. La victime redevient elle-même et s'envole comme un ange. Belle création.

Uh hommage particulier au Canada

Monkman présente aussi des oeuvres à l'apparence de planches photo du XIXe siècle. Ce sont, en fait, des mises en scène sophistiquées reliées aux Pères de la Confédération canadienne. Avec des femmes autochtones qui viennent les séduire, dans la peau de femmes fatales - telles que Dalila, Judith ou la femme de Potiphar -, ou carrément les supprimer, comme dans le cas où un Kent Monkman déguisé en Salomé tient dans ses mains un plateau avec la tête d'un des politiciens. Une création raffinée et toute en nuances.

Jambières et peintures

La galerie expose aussi les bottes jambières rouges de Miss Chief et un collier de perles inspiré du chapelet catholique, mais ce n'est pas le Christ qui est en croix, mais un castor... L'expo ne serait pas complète sans quelques peintures. On peut en admirer deux. D'abord Kindred Spirits (After Durand), une nouvelle toile inspirée du tableau Kindred Spirits peint par Asher Brown Durand (1796-1886) et dans lequel deux amis discutent au bord d'une falaise dans un lieu enchanteur. 

Dans la toile de Monkman, un homme blanc et un autochtone, flambant nus au bord d'une falaise identique, se battent dans une sorte de danse virile, chacun empoignant la cuisse de l'autre. Un beau tableau.

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

Kindred Spirits (After Durand), 2017, Kent Monkman, acrylique sur toile, 121,9 cm x 96,5 cm

L'autre tableau, Weesageechak Teaches Hermes How to Trick the Four Legged, a été exposé en 2010 à la Biennale de Sydney, en Australie. Un tableau comique et coquin où l'autochtone apprend à Hermès à domestiquer des bisons.

Mais la position à quatre pattes de l'Amérindien insinue qu'un autre apprentissage s'en vient. Du grand Monkman!

Enfin, Pierre-François Ouellette a accroché des esquisses préparatoires au crayon de graphite réalisées par Kent Monkman pour quelques-uns de ses grands tableaux. Des études qui seront bientôt plutôt rares, puisque Monkman utilise désormais des modèles vivants pour ses toiles plutôt que d'avoir recours au dessin académique. 

À noter que le Boudoir de Berdache, un tipi transformé en salon où sont diffusées deux vidéos, est actuellement exposé au Musée des beaux-arts de Montréal, dans le cadre de l'exposition Il était une fois... le western. Le musée prévoit, de plus, présenter bientôt une oeuvre vidéo réalisée le mois dernier quand Kent Monkman s'est symboliquement marié avec le couturier français Jean Paul Gaultier, dans le cadre de l'exposition Love is love: le mariage pour tous selon Jean Paul Gaultier. L'artiste canadien s'était évidemment présenté dans les atours et sous les traits de Miss Chief Eagle Testickle! 

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Le zoo humain, de Kent Monkman, à la galerie Pierre-François Ouellette art contemporain (963, rue Rachel, Montréal), jusqu'au 4 novembre.

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

Weesageechak Teaches Hermes How to Trick the Four Legged, 2010, Kent Monkman, acrylique sur toile, 152,4 cm x 121,9 cm