Une fondation consacrée aux arts décoratifs vient d'être créée à Montréal. Elle porte le nom de Luc d'Iberville Moreau, figure marquante des arts décoratifs au Canada, des années 80 jusqu'aux années 2000, et mort l'an dernier, à l'âge de 80 ans. La Fondation Luc-d'Iberville-Moreau remettra chaque année une bourse d'études en arts décoratifs.

Dans la Maison Louis-Joseph-Forget, où est établie la Fondation Macdonald-Stewart, rue Sherbrooke Ouest, à Montréal, bien des objets évoquent la passion de Luc d'Iberville Moreau pour les arts décoratifs. Prenez ce centre de table très chic, usiné par la firme milanaise Alessi sur un design de l'architecte irako-britannique Zaha Hadid. Acheté en 2014, il avait été donné à la collection du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) l'année suivante. Comme des dizaines d'autres objets qu'il a acquis durant sa vie. Pour lui ou d'autres esthètes. 

«David M. Stewart comme Luc d'Iberville Moreau ont été essentiels pour les arts décoratifs à Montréal, dit Diane Charbonneau, conservatrice des arts décoratifs et de la photographie au MBAM. Luc d'Iberville Moreau venait du patrimoine, mais a toujours eu un flair pour le design contemporain. Avec lui, notre collection a embrassé le design industriel, mais aussi toute la créativité contemporaine.» 

Luc d'Iberville Moreau avait un penchant pour la céramique, le mobilier, le verre et, sur le tard, les bijoux. Au MBAM, la joaillerie représente un pan majeur de sa collection de 6100 objets d'arts décoratifs et de design postérieurs à 1900. Il s'agit de la seule collection de bijoux de cette période d'une telle importance au Canada. 

Études à New York et à Londres

Natif d'Iberville, M. Moreau avait fait des études universitaires à New York et un doctorat à Londres, en 1972, sur Robert de Cotte, architecte du roi de France au XVIIIsiècle. Conservateur général au MBAM de 1966 à 1968, il se heurta à un certain conservatisme, notamment quand il voulut agrandir la collection du musée avec des oeuvres d'artistes tels qu'Andy Warhol ou Jasper Johns. 

En 1979, après un épisode d'attaché culturel à Ottawa puis de professeur à l'UQAM, il a été nommé par David M. Stewart (l'héritier de la Macdonald Tobacco Company) directeur du tout nouveau Musée des arts décoratifs de Montréal (MADM) créé au Château Dufresne. 

Luc d'Iberville Moreau y organisa un grand nombre d'expositions dont certaines retentissantes telles que Sucre d'art, en 1980-1981, ou La Collection Liliane et David M. Stewart. Design international depuis 1940, en 1984. Il y a développé, notamment avec Liliane Stewart, son goût de la collection d'objets du XXsiècle qui s'est poursuivi quand le MADM a été annexé au MBAM en 1997.

«Contrairement à l'attitude élitiste et démodée du Musée d'art moderne de New York qui approche le design avec un grand D, notre collection relève d'une philosophie plus contemporaine, disait-il à La Presse en 1998. J'ai acquis au bon moment des créateurs aujourd'hui hors de prix. [...] Beaucoup de manufacturiers de meubles nous ont donné ou vendu au prix coûtant des objets. Et avec certains designers, comme Gaetano Pesce, Ettore Sottsass, Charles Eames avec 50 pièces, nous avons des concentrations essentielles.» 

«C'est grâce à ses connaissances et à son énergie enthousiaste que le MBAM possède une collection mondialement connue. Luc d'Iberville Moreau a travaillé avec de grands experts des arts décoratifs comme David A. Hanks, R. Craig Miller ou Martin Eidelberg», explique Maurice Forget, collectionneur et ancien collaborateur du Musée des arts décoratifs de Montréal.

«Il avait une mémoire éléphantesque et lisait énormément, indique son ami Louis Godbout. Il essayait de comprendre le monde.» Directeur de la Fondation Macdonald Stewart, Bruce D. Bolton ajoute que M. Moreau était «proustien», un homme de goût, ironique et humoristique. «Un homme de paradoxe, dit-il. Amical et persifleur, intéressant, un découvreur. Il avait autant du mobilier Second Empire que des tableaux d'art contemporain.»

Pour Luc d'Iberville Moreau, disparu le 17 janvier 2016, collectionner était un art. «Cela prend de la raison pour collectionner sérieusement, avait-il dit au Montreal Calendar Magazine, en 1984. Vous ne devez pas acquérir à l'instinct. Vous devez acheter ce qui a une qualité muséale et ce qui mérite d'être documenté.» 

Hommage de Suzanne Sauvage

«Luc d'Iberville-Moreau était d'une culture, d'une élégance! s'est exclamée Suzanne Sauvage, présidente du musée McCord, lors d'un hommage rendu au disparu. Il a donné beaucoup de ses objets, notamment de très beaux textiles au musée McCord. Si l'on doit se souvenir de quelque chose de lui, c'est de sa passion pour la beauté, mais aussi pour ses chats qui dormaient sur des divans Gaetano Pesce!»

Luc d'Iberville Moreau a laissé tout son patrimoine pour créer une fondation. «La Fondation Luc-d'Iberville-Moreau encouragera la connaissance et l'enseignement des arts décoratifs, dit Paul D. Leblanc, collectionneur, ami de M. Moreau et ancien vice-président du MADM. Un prix annuel de 50 000 $ à 70 000 $ financera les études en arts décoratifs d'un ou de deux étudiants diplômés au niveau doctoral. Cela signifiera vraisemblablement des études en Angleterre, aux États-Unis ou en Italie. Luc voulait rendre à d'autres ce qu'il avait reçu dans ses jeunes années...»

Photo tirée des archives de Luc d’Iberville Moreau

Luc d'Iberville Moreau avec la collectionneuse et mécène Liliane Stewart - qui légua près de 5000 objets de sa collection au MBAM en 2000 - près d'un sofa Marshmallow signé George Nelson.