Sept ans après leur premier duo chez René Blouin, Geneviève Cadieux et son amie Kiki Smith sont de retour pour une expo collective 100% féminine dont elles sont les commissaires. Avec leurs oeuvres, mais aussi celles de quatre New-Yorkaises qui exposent pour la première fois au Canada: Angela Conant, Beka Goedde, Rachel Ostrow et Emma Thomas.

En introduction, on est en eau de connaissance, si l'on peut dire. Dans la continuité de sa série Flow révélée l'an dernier, Geneviève Cadieux a en effet accroché dans l'entrée son diptyque Gold River. Deux grandes impressions au jet d'encre sur papier chiffon, élégamment rehaussées à la feuille d'or et à la feuille de palladium. 

L'oeuvre récente de 58 po x 186 po matérialise les reflets de la lumière sur le lit d'une rivière auxquels se juxtaposent des reflets artificiels qui, vus de loin, se mêlent «naturellement» aux éclats du soleil. Captant l'éclairage de la salle, les petits fragments d'or et de palladium semblent flotter sur l'eau en mouvement. 

En écho, une interprétation similaire du naturel se retrouve dans deux grandes tapisseries verticales de Kiki Smith, la fille du sculpteur minimaliste Tony Smith (1912-1980). Intitulées Spinners et Visitor, elles ont été tissées façon jacquard avec un métier à tisser numérique. Geneviève Cadieux les avait vues exposées à Santa Fe, au Nouveau-Mexique. 

«J'ai choisi trois tapisseries de Kiki en fonction des miennes. Comme pour mes oeuvres, on y retrouve des procédés anciens mêlés à de nouvelles technologies. On fait aussi toutes les deux un travail de surface.»

Sol et sous-sol

Dans la pièce suivante, le duo de commissaires présente une sculpture et une tapisserie de Kiki Smith en dialogue avec deux impressions au jet d'encre de Geneviève Cadieux. La sculpture, Phantom, est un bronze de petite taille posé sur un socle: une branche d'érable ancrée dans des souches, sujet qui se marie bien aux trois autres oeuvres sur le thème du paysage. 

La tapisserie jacquard Underground de Kiki Smith est une des pièces maîtresses de l'expo. L'oeuvre allégorique de 3 m de hauteur sur 2 m de largeur est fouillée et magnifiquement colorée. Elle représente une coupe transversale d'un sous-sol étagé où un homme, prisonnier d'un système racinaire, côtoie des roches arrondies de type morainique, des insectes et des lièvres aux aguets dans leurs terriers. 

Cette tapisserie paisible jouxte un autre paysage quasiment pétrifié, celui-ci de Geneviève Cadieux, avec Ghost Ranch, une photo retravaillée qui suggère l'ambiance irréelle d'un relief désertique du Nouveau-Mexique que l'artiste révèle en négatif. Du coup, taillis et arbrisseaux ont l'air de buissons ardents qui, avec un ciel d'encre, confèrent à cet environnement jadis hanté par la peinture de Georgia O'Keeffe une atmosphère véritablement fantomatique. 

En provenance de New York

Lors d'un voyage à New York, Geneviève Cadieux a choisi avec Kiki Smith les oeuvres de quatre artistes de New York, accrochées dans la troisième salle de la galerie. Emma Thomas expose quatre eaux-fortes de sa série de 2015 Variation of 50 dont le leitmotiv est une trame de type textile artisanal. Les motifs gravés sont simples, délicats, légèrement colorés mais peu expressifs.

Plus originale, Beka Goedde propose six petites sculptures murales, sortes d'agrégations de matériaux (bois, aluminium, émail) formant des objets à la fois compacts et étranges, des pièces pouvant se référer à la peinture. Comme une peinture en relief appliquée au mur. Avec des titres tels Pulling a TableclothTeatime ou Orbital. Intéressant. «Séduisant», dit Geneviève Cadieux. 

Chez Angela Conant, qui pratique la photographie d'installations extérieures, la peinture et la sculpture, la création a aussi un caractère insolite. Peinture très travaillée d'un petit doigt (Short finger), toile d'une tête (en est-ce vraiment une?) parcourue de mains, petit tableau galactique. L'assortiment est intrigant. Attendons une expo solo plus rassasiante. 

Enfin, les huiles sur panneau de Rachel Ostrow - créées à la raclette (squeegee) sur fond noir - sont des abstractions où les couleurs disposées en éventail traduisent une certaine recherche esthétique, mais le tout manque un peu d'émotion. 

Après cette exposition, Geneviève Cadieux va poursuivre ses créations inspirées de ses photos prises lors de son séjour dans le sud des États-Unis. En même temps, elle bûche sur une grande oeuvre d'art public qui sera installée dans la future station Rideau du nouveau métro d'Ottawa. Si tout va bien, en 2018. 

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Geneviève Cadieux, Kiki Smith, Angela Conant, Beka Goedde, Rachel Ostrow, Emma Thomas, à la galerie René Blouin (10, rue King, Montréal), jusqu'au 26 novembre.

Photo Martin Chamberland, La Presse

About-face, 2014, Beka Goedde, émail et feuille d'aluminium sur bois, 19 cm x 20 cm x 23 cm