Née dans les années 80, la génération Millenium a grandi avec le monde virtuel. Arsenal Montréal présente, cet automne, les oeuvres de quatre artistes de cette génération numérique, dont celles du Montréalais Jon Rafman, qui s'inspire essentiellement de l'internet et des nouvelles technologies. Avec, entre autres, une expérience de réalité virtuelle à couper le souffle...

Le plus grand espace d'Arsenal explore l'impact social du monde virtuel. Notamment, comment un internaute peut jusqu'à perdre la notion du temps à cause d'un abus de web. Voire la notion d'une vie saine, soit la nécessité de (bien) s'alimenter, de dormir, de se laver et de ranger ses affaires ! Pour illustrer la réalité du virtuel, les oeuvres de Jon Rafman sont surprenantes, parfois choquantes, parfois drôles. Il ne faut pas les prendre au premier degré. Notamment sa vidéo Erysichthon (2015), projetée sur un immense écran. Elle contient des images insolites que Rafman a trouvées sur le web, comme le serpent qui se mange la queue, et des images de films d'animation ou d'effets spéciaux.

Une narration sur la distraction futile, la violence et le plaisir dérisoire que l'on regarde... en swinguant sur une balançoire ! Tout un symbole, en cette ère de Pokémon Go. La poésie symboliste imprégnée de mystères, d'esthétisme et d'idées a décidément foutu le camp... 

Collision réel-virtuel

Sur un mur sont accrochées trois impressions numériques de Jon Rafman. Cette série, You are Standing in an Open Field, montre le bureau de travail de trois internautes différents. Trois environnements, trois collisions entre réel et virtuel. Le premier environnement, Seashore, se réfère à la culture juive. Livres d'écrivains juifs, hanoukkia (chandelier à neuf branches) et objets du quotidien sont mis en scène sur fond de paysage marin. Le tableau rappelle les anciennes natures mortes, notamment les vanitas. Avec un autre sens philosophique, mais un même regard sur le présent. 

Intitulé Gorge, le deuxième pupitre est dans une tonalité masculine. Trophée sportif, cigare, carafe de whisky et... une côtelette de porc sur une assiette! Le troisième (Watershore) est plus féminin et très sale. Restes de sushis, étui à maquillage souillé, etc. Trois études sur la frontière entre le réel et le virtuel, ce dernier semblant gruger l'espace du premier. «Mais le virtuel ne peut se passer de l'existence physique», dit Jon Rafman en entrevue. Ouf!

La fin du geste?

Rafman expose deux sculptures en marbre, New Age Demanded (Curveman Carrara) et Turbodemon. Conçues sur ordinateur, elles ont été créées en Italie par une machine qui sculpte en 3D (avec un burin sur un bras de robot) directement dans la carrière de marbre avant d'être peaufinées par l'artiste. En les regardant, on pense à la perte du geste qui a fait la renommée de Michel-Ange et de Rodin. Rafman rétorque qu'on est à l'ère technologique du «sans-effort» et que ses sculptures reflètent l'ancien (marbre) et le nouveau (robotisation). 

Réalité virtuelle

On retrouve ces sculptures lors d'une immersion avec casque de réalité virtuelle que Rafman a présentée à la Zabludowicz Collection, à Londres, l'an dernier. Au sein d'un labyrinthe créé avec des panneaux de fausse verdure, il vous fait vivre une expérience cybernétique fascinante. En partant du labyrinthe, et donc de la réalité, on se retrouve soudain immergé dans un couloir obscur avant de pénétrer dans une forêt, de marcher sur l'eau, puis de décoller vers le ciel! Très impressionnant et convaincant. L'expérience à ne pas rater cet automne... à moins de souffrir de vertige. Une oeuvre réussie et une aventure tout sauf passive. 

Ce Rafman est de plus en plus conquérant. Il était à l'honneur, cet été, au Stedelijk Museum d'Amsterdam avec l'exposition Rafman - Virtual Anthropologist. Il sera souvent aux Pays-Bas dans les prochains mois: «Le régisseur du Dutch National Ballet, Pierre Audi, m'a demandé de créer les visuels d'arrière-plan de l'opéra Bomarzo qui sera présenté l'an prochain dans une version contemporaine», dit-il. Rafman s'inspirera de l'univers maniériste des sculptures du jardin de Bomarzo, en Italie, qui ont inspiré l'opéra d'Alberto Ginastera. Un projet emballant pour Jon Rafman qui réfléchit aussi à l'idée de faire une intervention artistique à l'occasion de la Biennale de Montréal, cet automne. À suivre... 

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Jusqu'au 15 octobre à l'Arsenal (2020, rue William, Montréal).