En ce début d'année, une virée chez Occurrence permet de découvrir avec quelle intensité les salles de la galerie du Mile End ont été transformées en un lieu où s'entremêlent la chambre, l'atelier et l'espace d'exposition. L'installation éclatée de Luc Bergeron fusionne les gestes de création, de diffusion et de présentation et donne à l'atelier une sorte de statut d'oeuvre d'art.

Luc Bergeron est un peu chez lui à Occurrence. Il a été pendant 18 ans membre du C.A. de cet espace d'art et d'essai contemporain dirigé par Lili Michaud. On ne sera donc pas surpris que sa nouvelle exposition porte le titre de Domicile, un clin d'oeil - mais pas seulement - à son univers qui intègre tous les aspects ontologiques de sa démarche artistique.

Après s'être longtemps consacré à la peinture abstraite, Luc Bergeron a fait montre d'un intérêt marqué pour le paysage, notamment celui lié à l'architecture. Après son expo Table des matières au centre de diffusion Les Territoires, en 2010, l'artiste montréalais avait poursuivi, en 2013 au Musée d'art contemporain de Baie-Saint-Paul, son étude de l'atelier multiforme, cet espace-laboratoire qu'il habite librement autant physiquement que techniquement, avec des photos, dessins, collages, découpages, peintures, maquettes et installations.

Dans le musée charlevoisien, il avait ajouté une chambre à cette étude de l'atelier. Chez Occurrence, il élargit le concept en incorporant un espace social, sorte de salle de séjour ou de salle à manger où la nourriture s'ingère avec les yeux. Les trois espaces ainsi constitués présentent trois facettes de son travail et forment un tout décoratif somme toute assez cohérent, avec les éléments qui caractérisent son style construit stricto sensu « autour » du pictural : les formes, la couleur et la matière.

CHAMBRE INTIME

La partie « chambre » de l'expo a été créée dans un espace clos et obscur. Luc Bergeron y a placé un lit de camp près d'une cloison qui fait office de mur ou de paravent. Une belle idée. La cloison est une boîte lumineuse constituée de formes sur ses deux pans. Il crée l'illusion d'une forêt d'un côté et éclaire, de l'autre, des dessins de recherche à la fois abstraits et figuratifs.

On retrouve le talent pluriel de cet ex-étudiant de Concordia qui a touché à l'impression sur tissu comme à la danse, à la sculpture ou à la fresque. Les éléments figuratifs découpés pour créer ses formes éclairées proviennent d'anciennes cartes postales d'histoire de l'art, notamment un détail des Glaneuses de Jean-François Millet ou de toiles d'Edgar Degas. Les formes abstraites découlent, elles, d'une réflexion sur les rebuts domestiques et sur la finalité des objets du quotidien.

L'artiste fasciné par le tridimensionnel a aussi configuré dans la chambre un escalier en bois qui monte... nulle part, mais laisse imaginer un autre espace qui s'ajouterait à cette quête de paysage spatial qui passionne Luc Bergeron.

ESPACE HABITÉ

Dans la salle principale de la galerie, les oeuvres sont sur les murs, à terre ou posées sur des chaises, quand ce ne sont pas les chaises elles-mêmes qui sont objets d'art. L'expo se visite comme un cabinet de curiosités, voire une bibliothèque. Impossible de repartir en ayant tout vu, tout lu, tant il y a de détails ici et là dans cet enchevêtrement artistique qui résulte d'une démarche étalée sur cinq ans.

Paysages d'hiver, portraits colorés sur carton mêlant abstraction et figuration, assiettes peintes et sculptées, buste de Spider-Man, table de salle à manger proposant des livres d'art réinterprétés, cadres avec photos de collages mis en scène, grands panneaux muraux où les différentes techniques associées laissent apparaître des formes, des ombres...

Depuis toujours, Bergeron aime sortir du cadre et définir sa voie au gré de ses propres perspectives. Influencé par le pop art, Warhol, Rauschenberg et Rothko, concepteur de scénographies théâtrales, il est de son temps si l'on considère combien l'installation est devenue un langage d'art prisé.

Pourtant, Luc Bergeron ne bénéficie pas d'une grande notoriété. Un peu sauvage, il n'a jamais fait l'objet d'un excès de couverture médiatique. « J'ai pourtant toujours travaillé, et depuis bientôt 35 ans ! Compte tenu de la diversité de mon travail, les critiques, mis à part Laurier Lacroix, ont peut-être plus de difficulté à me situer. Mais ce concept d'éclatement fait partie de mon travail. »

À l'Espace d'art et d'essai contemporain Occurrence (5455, avenue de Gaspé, local 108), jusqu'au 16 janvier.

LUC BERGERON EN QUELQUES MOTS

Né à Jonquière, il vit à Montréal.

Diplômé de Concordia en 1984. 

Collectionné par la Banque d'oeuvres d'art du Canada, le Centre des arts de Baie-Saint-Paul, le Musée national des beaux-arts du Québec et le Musée de Lachine.

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Dans la salle principale de la galerie Occurence, les œuvres sont sur les murs, à terre ou posées sur des chaises, quand ce ne sont pas les chaises elles-mêmes qui sont objets d’art…

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Près de la porte d’entrée de la galerie, Luc Bergeron a placé sur un panneau de motifs son oeuvre Nature, de 2014, une huile sur papier marouflé sur carton.