Magnats de la finance, de l'immobilier, de l'industrie pharmaceutique ou du luxe, ils sont quelques centaines de collectionneurs à dominer l'art contemporain mondial, marché qu'ils ont poussé vers les sommets, au moins financièrement parlant.

Certains d'entre eux arpenteront les allées de la Foire internationale d'art contemporain (Fiac), qui se tient à Paris de mercredi à dimanche. «Mais les gens d'influence, ceux qui orientent le marché, ne sont pas présents physiquement, ils envoient leur conseiller artistique, un expert chargé d'opérer pour eux une sélection parmi les oeuvres et les artistes», explique à l'AFP Thierry Ehrmann, président d'Artprice, numéro un mondial des données sur les ventes aux enchères du secteur.

Selon lui, l'élite mondiale des collectionneurs représente environ 2000 personnes. La moitié sont Américains ou Asiatiques, comme le magnat de la presse Peter Brant, l'entrepreneur Élie Broad ou le Chinois Guan YI, dont l'empire pharmaceutique lui a permis de réunir la plus grande collection du monde avec 2500 oeuvres.

L'Europe est en retrait avec une centaine de collectionneurs d'importance dont les deux géants du luxe, les Français François Pinault (fondateur du groupe PPR, devenu Kering) et Bernard Arnault (PDG de LVMH).

Un art qui vaut 2 milliards de dollars

«Avec la mondialisation, le nombre de ces grands collectionneurs a augmenté en même temps que celui des grandes fortunes», relève la galeriste spécialisée Nathalie Obadia, qui travaille à Paris et à Bruxelles.

Une évolution confirmée par la sociologue française Nathalie Heinich, spécialiste de l'art contemporain. «Les raisons de cette bulle ne sont que partiellement liées à l'art, mais surtout à l'évolution économique du monde, à la financiarisation, à l'émergence des traders et de grandes fortunes faites rapidement (...) donc à des masses d'argent disponibles qu'il faut dépenser», déclarait-elle en février à l'agence Art Media Agency.

Désormais, des acheteurs originaires de Chine, d'Inde, du Moyen-Orient ou d'Amérique du Sud s'affrontent à coup de millions de dollars dans les salles des ventes pour acquérir les oeuvres des artistes stars du marché, Francis Bacon, Jean-Michel Basquiat, Jeff Koons, Damien Hirst et une poignée d'autres.

Avec pour conséquence, un marché de l'art contemporain au beau fixe. Sur la période juillet 2013-juillet 2014, il a dépassé la barre des deux milliards de dollars de recettes, la meilleure année de son histoire.

Symbole de cette vitalité, un Balloon Dog, un des célèbres chiens en forme de ballon de l'Américain Jeff Koons, est devenu fin 2013 l'oeuvre contemporaine la plus chère du monde à 52 millions $. L'homme d'affaires américain Peter Brant, qui cédait l'oeuvre qu'il avait acquise à la fin des années 1990, avait réalisé ainsi une considérable plus-value.

À chacun sa fondation

«Le problème avec ces riches collectionneurs, c'est qu'ils font monter le prix des oeuvres, y compris de jeunes artistes, à une telle vitesse que même des personnes qui disposent de salaires confortables sont hors jeu», note le journaliste Guillaume Durand, fils de galeriste et grand amateur d'art contemporain.

«À l'exception de vrais amateurs, comme François Pinault et quelques autres, tout est désormais raflé par des Russes, des gens qui souvent n'ont aucun lien avec l'art mais qui achètent parce que ça fait partie du style de vie d'une partie de la jet set mondiale», déplore-t-il.

Un jugement tempéré par Nathalie Obadia. «Si, à court terme, il peut y avoir des excitations du marché, voire un brouillage entre marché de l'art et histoire de l'art, à plus long terme, l'aspect historique et intellectuel d'une oeuvre et la reconnaissance d'un artiste via les musées et les conservateurs finissent par prévaloir», assure-t-elle.

Signe de la toute puissance de ces poids lourds du marché, la plupart disposent de leurs propres lieux d'exposition, des fondations à faire pâlir d'envie nombre de musées nationaux.

François Pinault a logé une partie de sa collection dans le Palazzo Grassi à Venise. Peter Brant a créé The Brant Foundation dans le Connecticut. Et la Fondation Louis Vuitton, voulue par Bernard Arnault, ouvrira ses portes au public le 27 octobre au Bois de Boulogne, à Paris.