La galerie Pierre-François Ouellette Art Contemporain (PFOAC) plonge le visiteur dans un nouvel univers inuit jusqu'au 8 mars avec l'exposition Rencontre Nord-Sud qui découle d'un séjour de l'artiste torontois Ed Pien au Nunavut.

Depuis le milieu des années 60, la Banque Toronto-Dominion a assemblé une des plus grosses collections d'art inuit dans le monde. Elle a également créé récemment un programme de résidence d'artistes à Cape Dorset, où s'est rendue l'artiste torontoise Shary Boyle avant que son collègue Ed Pien suive ses traces.

L'exposition présente ainsi des créations que le Torontois a réalisées au Nunavut ainsi que de surprenantes oeuvres contemporaines de 5 artistes inuits: Shuvinai Ashoona, Itee Pootoogook, Jutai Toonoo, Papiara Tukiki et Tim Pitsiulak.

Les trois premières oeuvres qu'Ed Pien a composées l'ont été dès son arrivée à Cape Dorset et illustraient ses impressions en arrivant en avion, soit l'allure géomorphologique de la toundra et de la glace vues des airs. Trois dessins réalisés de façon spontanée en tenant trois crayons et montrant comment la glace a creusé le rocher en surface.

L'interaction entre les artistes inuits et Ed Pien a été intense, l'artiste s'étant vite intégré dans la communauté artistique locale. Ed Pien a ainsi dessiné Shuvinai Ashoona... pendant qu'elle le dessinait. Le dessin à l'encre aux traits fougueux s'appelle Shuvinai Drawing Ed Drawing Shuvinai.

Imprégné par la nature

On retrouve la facture d'Ed Pien dans ses Sea Dogs, des dessins de petites pieuvres et d'yeux apparaissant à la surface de l'eau, témoignant de sa rêverie au bord de la banquise. Ed Pien s'est laissé imprégner par la nature. On le voit avec Nuna II/Land II et Nuna III/Land III, qui décrivent le rocher planté dans le blanc du froid, mais aussi son immersion dans la culture inuite avec son dessin Amauti, décrivant le vêtement que les femmes inuites utilisent pour porter leurs nouveau-nés et qu'il a pourvu de toutes sortes de créatures mi-animales mi-humaines.

Intéressante également la gravure sur pierre Beaked Man qu'Ed Pien a imprimée sur papier japonais à l'invitation de l'atelier local Kinngait. «Il est l'un des premiers à être intégré dans la collection de Cape Dorset après avoir été invité à effectuer cette gravure sur pierre, traditionnelle de l'art inuit», explique le galeriste Pierre-François Ouellette.

On retrouve l'esprit inuit dans Caribou Soup, de Papiara Tukiki, un dessin au crayon d'un faitout contenant... un caribou dont il ne reste que les os. Encore cette relation intime avec la nature et le fait que rien n'est inutile dans ses ressources. Également très beau dessin de chasse au morse en bateau que ce Hunting Walrus de Tim Pitsiulak, avec des couleurs magnifiques et des textures travaillées pour représenter la surface de l'eau.



Le grand dessin de Tim Pitsiulak sur une chasse aux canards au fusil depuis la rive est aussi fascinant. C'est la grande qualité de cette expo que de nous montrer combien l'art inuit a changé, dans ses thèmes comme dans ses modes de représentation, grâce à un équipement plus accessible qu'auparavant, grâce aussi à une influence extérieure plus large.

L'immense dessin aux crayons gras et aux franches couleurs de cet artiste de 46 ans décrit combien la glace s'est retirée à cause du réchauffement de la planète. L'oeuvre inuite n'est plus seulement traditionnelle, elle est aussi didactique, voire journalistique.

Encore plus surprenant, Happy Mother (2013), qui marque un tournant dans la production de Shuvinai Ashoona, avec un grand dessin d'une fulgurance étonnante. Au milieu des rochers, une femme étrange, qui semble être sous l'emprise d'un immense oiseau collé à ses flancs, accouche d'un enfant coiffé de globes terrestres. Avec Birthing Thing, le personnage d'Ashoona enfante cette fois des créatures mi-ursidés, mi-humaines. On n'est plus dans ses dessins de paysages ou d'intérieurs de maisons inuites, mais dans une sorte d'Origine du monde de Gustave Courbet, version mythologies fantastiques du Nunavut.

«Ces artistes d'une nouvelle génération sont en train de briser tous les tabous en art contemporain, dit Pierre-François Ouellette. On les retrouve d'ailleurs dans toutes les expositions majeures au Canada, sauf au Québec.»

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Édifice Belgo, local 216, jusqu'au 8 mars.

Photo: fournie par Pierre-François Ouellette art contemporain

Happy Mother (2013), de Shuvinai Ashoona