Passionnée de découvertes, Karine Giboulo voyage pour observer les modes de vie. Elle les représente ensuite en sculptant des figurines qu'elle intègre dans des installations de type diorama. Reconnue à l'extérieur du Québec, l'artiste autodidacte de 33 ans épate de plus en plus avec ses messages forts et lucides, qu'elle exprime habilement dans une forme faussement naïve...

Sharona Adamowicz-Clements est commissaire à la Collection McMichael d'art canadien de Kleinburg, en Ontario. En 2011, elle était venue visiter l'exposition La planète mode de Jean Paul Gauthier au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM). Au même moment, une exposition d'art contemporain contenait une oeuvre de Karine Giboulo, All You Can Eat.

«Quand j'ai vu ses figurines qui ressemblaient à des petites poupées et racontaient l'histoire quotidienne des travailleurs chinois, une armée de travailleurs invisibles qui fabriquent la plupart des objets qu'on achète au Canada, j'ai été envoûtée, dit Mme Adamowicz-Clements. Par la maîtrise technique de ses pièces, son souci du détail et la force de sa narration. J'ai ri et pleuré tant j'étais touchée.»

Deux ans plus tard, la Collection McMichael, située à deux pas de l'aéroport de Toronto, organise la première rétrospective de Karine Giboulo. Jusqu'au 26 janvier, Karine Giboulo's Small Strange World(s) présente dans quatre salles quelque 50 oeuvres de la jeune artiste québécoise.

«Pour une artiste de son âge, c'est très rare d'obtenir ce type d'exposition d'envergure», dit Rhéal Olivier Lanthier, de la galerie Art Mûr, qui la représente. «C'est une artiste prometteuse. Elle va marquer l'histoire de l'art.»

Karine Giboulo a étudié les arts plastiques au cégep du Vieux Montréal avant d'apprendre la photo au collège Marsan, l'histoire de l'art à l'Université de Montréal et la gravure au Centre Saidye-Bronfman. Elle se considère comme autodidacte.

«J'ai appris seule à faire mes figurines. Je ne viens pas d'une famille d'artistes, mais j'étais bonne en peinture. Ma mère m'a toujours dit que j'étais née avec des crayons et des ciseaux dans les mains. Elle m'avait inscrite à des cours avec les matantes de mon village de Sainte-Émilie-de-l'Énergie. J'ai donc exposé avec des "madames" dès l'âge de 12 ans!»

Établie à Montréal depuis 2000, elle a commencé en 2005 à créer des décors miniatures. Comme un grand reporter explore les réalités socioéconomiques de la planète, elle s'est ensuite rendue en Chine, au Kenya, en Inde et en Haïti, a pris des notes puis est revenue mettre en scène ses personnages lilliputiens pour exprimer ce qu'elle avait vu.

«Mon cerveau pense en 3D, dit-elle. Je ne dessine pas les projets. Je les vois dans ma tête. Après, je raconte l'histoire avec des figurines en argile polymère que je fais cuire et que je peins. Ma façon de montrer le monde comprend une stratégie: les figurines ont l'air de jouets, donc cela accapare les gens.»

En effet, derrière sa forme ludique et enfantine, elle dépeint un monde plutôt déprimant. Sans juger ni dénoncer.

Nathalie Bondil, directrice du MBAM, a acheté en 2007 une oeuvre de Karine pour sa collection particulière. «L'oeuvre m'avait touchée, dit-elle. Elle dévoilait l'appartement d'une vieille dame assise sur un sofa en train de regarder un écran télé. Le message est fort et sensible.»

Le MBAM l'a ensuite invitée à faire partie de l'exposition La terre est bleue comme une orange avec All You Can Eat.

Karine Giboulo espère repartir bientôt en résidence. Mais cela prend du financement. «Il y a peu de moyens, surtout quand tu fais de grosses sculptures», dit-elle. Le fait d'être autodidacte et d'avoir une signature très personnelle ne l'aide pas au Québec, semble-t-il. «Il y a comme un mur, mais ça ne me traumatise pas. Les choses sont en train de changer.»

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Son top 5 de 2013


Kochi Muziris Biennale 

La visite, en janvier 2013, de Kochi Muziris Biennale, la première biennale d'art contemporain de l'Inde regroupait des artistes d'Asie et d'Afrique.

L'émission Parts Unknown 

Une série diffusée à CNN sur les aventures du chef Anthony Bourdain sur la planète.

Le roman Aminata 

Un roman immense et dur de Lawrence Hill qui lève le voile sur un épisode méconnu de l'histoire canadienne: l'arrivée de milliers de loyalistes noirs américains en Nouvelle-Écosse au lendemain de la guerre d'indépendance américaine.

Le documentaire Watermark 

Quel est notre relation avec l'eau? Cette question sert de point de départ au travail de la documentariste d'origine montréalaise Jennifer Baichwal et du photographe canadien de renommée mondiale Edward Burtynsky.

L'album Dommage que tu sois pris 

Ce mini-album a été réalisé par le groupe québécois Avec pas d'casque.