Simon Beaudry a récemment gagné la bourse de la Foire d'art contemporain de Saint-Lambert. Quelques jours plus tard, l'artiste de 36 ans parasitait l'angle des rues Berri et Bibaud, sur le Plateau, avec une installation dans laquelle il avait cumulé sculptures, appropriation de panneaux indicateurs et performance publique filmée.

Coiffé d'un casque de moto surmonté d'un panache de chevreuil et vêtu d'un gilet carotté rouge et noir, il a déambulé au sein d'un «passage symbolique entre l'état de province et l'état de pays» qu'il avait délimité avec des autocollants de chevrons noirs et jaunes imitant ceux du ministère des Transports.

Mais il s'agissait du motif de l'Assomption, celui de la ceinture fléchée des Canadiens français. Et il balayait le passage pour qu'il soit propre au matin du grand Jour...

Inspiré par Pierre Perrault, Henri Julien, Victor-Lévy Beaulieu et Pierre Falardeau, Simon Beaudry n'est pas un artiste contemporain comme les autres. D'abord, il est résolument engagé en faveur de l'indépendance du Québec depuis ses 15-16 ans, à l'époque de l'«accord de Charlottetown». «J'ai besoin d'exister tant personnellement que collectivement», dit-il.

Ses oeuvres l'expriment ou le proclament. Il a déjà créé un drapeau pour le rêve suprême, du même bleu que le fleurdelisé mais avec une seule fleur de lys, immense et centrée. Il avait lancé en 2007 un collectif Identité québécoise, avec l'auteur Philippe Jean Poirier. Le collectif s'est transmuté en une articulation de sa pensée autour d'une application plastique appuyée par une maîtrise en arts visuels et médiatiques à l'UQAM.C'est qu'il n'est pas artiste à temps plein, Simon Beaudry. Il est aussi directeur de création à l'agence de publicité DentsuBos. C'est lui qui, notamment, a créé la campagne de Sloche pour Alimentation Couche-Tard avec cette belle histoire d'amour entre une pizza et des spaghetti.

Il a déjà exposé ses oeuvres, avec sa série Câliboire consacrée à la quête identitaire. Et il revient, cette fois à la galerie BAC jusqu'au 7 décembre, avec un concept bien défini sur l'émancipation du Québec. L'exposition s'intitule Véhicule et scalp, sorte de variante à la pulsion freudienne de la vie et de la mort. Le véhicule exprime la volonté d'arriver à ses fins et le scalp, les entraves au dessein.

Ainsi, dans la grande salle de la galerie, il a installé de grandes sculptures composées de carénages de motos et de scooters recyclés et vernis surmontés de panaches d'orignaux ou de chevreuils qu'il a chassés...sur Kijiji! Ces véhicules hybrides surprenants sont un moyen d'illustrer «la faille historique du Québec, son refus renouvelé d'enfourcher la bête capricieuse du pouvoir politique».

Près des sculptures, trois photographies de femmes attirantes, Golden scalp, les portraits de ce qu'il appelle «la génération branchée, compétente et décomplexée» des Québécois qui avancent «sans repères ni projets avec toute la détermination du monde». Il a coiffées ces belles de casques futuristes fabriqués à partir de garde-roues de motos. Les trois têtes pourraient conduire le véhicule qui doit mener le peuple à son état d'État. Mais elles sont maquillées et artificielles. «La mode, les sorties, les tatoos, toutes les cultures de l'apparence dont Céline est un bel exemple - quelqu'un qui veut être autre chose que ce qu'il est - tout ça, c'est le scalp», dit-il, devant son oeuvre Céline, une tête de cervidé de laquelle pendent de longs cheveux soyeux. Pas sûr que la star apprécierait...

Le scalp en tant qu'autodestruction identitaire, c'est aussi la scie mécanique entourée d'un panache de branches d'arbres, un objet qui coupe du bois mais dont les défenses sont en bois. «En ce moment, je ne sens pas que le véhicule est à portée de main, dit-il. Ça prendrait un travail sur une constitution, ce serait un projet assez rassembleur mais le projet n'arrive pas.» La Charte des valeurs québécoises ne l'a pas directement inspiré mais elle éveille chez lui le souhait qu'un «maximum de gens embarquent dans le véhicule». Mais pour l'instant, il constate qu'il n'y a pas de priorité pour son véhicule engagé. Ce qui ne l'empêche pas d'être très inspiré.

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Véhicule et scalp, de Simon Beaudry. À la galerie BAC jusqu'au 7 décembre.