Une collection d'impressionnistes français est au centre d'une discorde en Russie depuis que la directrice du musée Pouchkine a demandé au président Vladimir Poutine de ramener une partie des toiles de Saint-Pétersbourg à Moscou pour y recréer un musée unique dispersé en 1948 par Staline.

Sollicité en public par Irina Antonova, qui à 91 ans dirige depuis 1961 le musée Pouchkine de Moscou, le président russe a botté en touche en avril, en s'en remettant à l'avis des experts et du ministère de la Culture.

Depuis, les passions se déchaînent sur la reconstitution de cette collection unique de toiles impressionnistes et du tournant XXe siècle, de Renoir, Cézanne et Monet à Matisse, Van Gogh et Picasso, confisquée peu après la révolution de 1917 par les Bolchéviques à de riches mécènes russes.

Le musée de Saint-Pétersbourg, l'Ermitage, auquel avait été confiée une partie de la collection lors de sa dissolution, comme la fameuse Danse de Matisse, a vu dans l'initiative de son rival moscovite une tentative d'«expropriation».

La mairie de la ville, les intellectuels et jusqu'aux fans du club de soccer Zenit ont défendu dans un élan commun les toiles qui font la gloire de l'Ermitage.

«Le musée d'art moderne occidental» que veut reconstituer Mme Antonona réunissait à Moscou les collections confisquées aux marchands Ivan Morozov et Sergueï Chtchoukine, qui achetaient des toiles à l'époque où ces peintres étaient très peu appréciés en France.

L'établissement a été détruit par Staline en 1948, jugé incompatible avec les valeurs esthétiques communistes.

Dans le décret sur sa liquidation, l'établissement fut qualifié de «foyer de tendances formalistes et de servilité devant la culture décadente bourgeoise de l'époque impérialiste».

Réparties entre le musée des beaux arts Pouchkine de Moscou (291 toiles) et l'Ermitage (337 tableaux), les oeuvres furent enfouies dans les réserves et n'ont été exposées qu'à la fin des années 1950 après la mort du dictateur.

«Il s'agit de faire renaître un grand musée du 20e siècle qui fut le premier musée d'art moderne au monde», a déclaré Mme Antonova lors d'une réunion au ministère de la Culture cette semaine.

Pour le directeur de l'Ermitage, Mikhaïl Piotrovski, cela reviendrait à «détruire» son musée.

«L'exposition consacrée aux impressionnistes est l'un des principaux atouts de l'Ermitage (...) Son transfert à Moscou serait une tragédie pour la ville», soulignent les Petersbourgeois dans une pétition signée par plus de 36 000 personnes.

«La proposition d'Irina Antonova est un précédent dangereux qui mène au chaos», dénoncent-ils.

Ils demandent au ministère de la Culture de suspendre le travail de la commission d'experts et ne «pas examiner la proposition de Mme Antonova qui est absurde».

«Cette idée est illogique. Pourquoi alors ne pas rendre les Kouriles (îles du Pacifique annexées en 1945 par l'URSS, ndlr) aux Japonais et l'Ermitage (ex-palais des tsars) aux descendants des Romanov?», s'insurge l'historien péterbourgeois Lev Lourié dans une déclaration à l'AFP.

Le gouverneur de Saint-Pétersbourg, Guéorgui Poltavtchenko, a également signé une lettre de soutien au directeur de l'Ermitage. «Les tableaux impressionnistes ne doivent pas quitter Saint-Pétersbourg», a-t-il asséné.

«Il existe au XXIe siècle des formes civilisées de coopération entre musées», souligne l'Ermitage sur son site.

Le porte-parole de Vladimir Poutine, Dmitri Peskov, a maintenu cette semaine que le Kremlin ne s'en mêlerait pas.

«Ce n'est pas du ressort du chef de l'État», a-t-il déclaré.

Mais Irina Antonova n'est pas du même avis.

«C'est l'État qui a détruit le musée et il faut sa bonne volonté pour le reconstituer», a-t-elle martelé, déçue, à l'issue d'une réunion avec le ministre de la Culture Vladimir Medinski.

Celui-ci s'était contenté de promettre de mettre en place un musée «virtuel» réunissant les deux collections, douchant les espoirs de la directrice du musée Pouchkine.