La plupart des objets dans la vie du designer Michel Dallaire ont une histoire, qu'il les ait conçus ou non.

On le constate immédiatement en pénétrant dans son bureau de la rue Peel où, à 70 ans, il se rend encore tous les matins pour cogiter avec les deux jeunes collaborateurs, les seuls effectifs de Michel Dallaire Design Industriel inc.

Le long des baies vitrées, une enseigne posée en clin d'oeil nous annonce: «Tout ce qui est fait ici est fait pour la gloire de Dieu et le salut du monde.»

Dallaire a récupéré l'enseigne chez un vieux forgeron qu'il avait pris en affection et qui demandait cinq dollars de l'heure pour forger à la gloire de Dieu.

Plus loin, un buste en résine d'Émile Nelligan rappelle que Dallaire est président de la Fondation Émile-Nelligan et que c'est à ce titre qu'il a fait ériger un bronze du poète au square Saint-Louis.

En face du buste, une élégante fusée de Tintin pointe vers le plafond. Grand fan de Tintin, celui qui a étudié à l'Institut des arts appliqués puis à l'École supérieure des arts industriels de Stockholm, et qui connaît personnellement aussi bien Ettore Sottsass que Philippe Starck, s'est offert la fusée pour célébrer le projet BIXI que sa firme venait de remporter devant cinq autres firmes.

Histoire familiale

Dernier objet incontournable, mais plus personnel, cette fois: la grosse montre Dodane à son poignet, porteuse d'une histoire familiale singulière.

Michel Dallaire a en effet longtemps vécu dans l'odeur du vin rouge et de la térébenthine, à l'ombre de son célèbre père, le peintre Jean Dallaire.

Mais à 16 ans, coup de théâtre: il apprend que son père n'est pas Dallaire, mais Claude Dodane, celui qui avait partagé l'atelier du peintre à Paris pendant la guerre. Dodane venait d'une riche famille d'industriels qui, depuis 1857, fabriquaient des montres et de l'horlogerie militaire.

Michel Dallaire n'a rencontré son père biologique que trois fois, mais il aime croire que c'est à cause de lui s'il a une aussi grande passion pour la précision.

Chose certaine, la précision dans son ADN rivalise avec sa conscience aiguë de la beauté des objets et de leur pouvoir de séduction.

«Un objet industriel doit être fonctionnel et avoir une qualité technique, mais s'il n'est pas séduisant à regarder, s'il ne fait pas naître le plaisir, les gens n'en voudront pas. Or, avec les clients, tout au long de ma carrière, je n'ai cessé de livrer cette bataille du beau. Les convaincre de l'importance de la beauté même pour un objet banal et quotidien n'a jamais été facile».

Sauvée par les Grecs

Dallaire se souvient encore de la réaction du maire Jean Drapeau quand, en 1976, il lui a présenté sa torche olympique minimaliste au long manche rouge.

«Pour le maire, c'était la catastrophe absolue. Il s'attendait à une flûte en argent avec des feuilles ciselées alors que moi, j'avais conçu un objet très simple, sans fioritures, qui était en réalité un outil pour transporter la flamme. Le maire m'a demandé si je n'avais pas autre chose. J'ai dit non, c'est ma meilleure proposition. Il n'était pas de bonne humeur, mais tant pis, on ne dessine pas une torche olympique pour plaire à un maire.»

Trois semaines plus tard, la torche olympique de Dallaire fut sauvée des foudres municipales par l'enthousiasme des Grecs, séduits par la fraîcheur et la nouveauté du design.

Exposition en 2015

Dans la vie de Michel Dallaire, chaque objet a une histoire et ce sont ces histoires que le Musée de la civilisation de Québec compte bien raconter en accueillant entre ses murs 40 ans d'archives.

La proposition du directeur du musée, Michel Côté, de tout rassembler sous un même toit et de sceller l'entente avec un projet d'expo en 2015 ne pouvait pas tomber mieux pour Dallaire.

«Je suis rendu à un moment de ma vie où j'ai besoin de m'alléger, et surtout, je voulais libérer mes quatre filles du poids de ces archives afin qu'elles n'aient pas un jour la lourde tâche de devoir trier 40 ans de travail.»

Ce que Dallaire espère raconter à travers ces archives, est simple: «Mes archives racontent l'histoire d'un designer québécois qui a qui a passé sa vie à faire du design au service de ses semblables et de leur quotidien.»

Le designer espère aussi modestement laisser sa trace: celle d'un homme qui, à l'envers de la dictature de la consommation, a cherché à faire naître la beauté et le plaisir des objets.