Habitant à Paris depuis huit ans, l'artiste plasticien et compositeur de musique électronique japonais Ryoji Ikeda est passionné par le son, les connaissances scientifiques, l'espace et le temps. Créant des installations où se mêlent art visuel, musique et mathématiques, il a été invité par DHC/ART à exposer ses oeuvres fascinantes dans six salles du centre d'art visuel.

Grand amateur de mises en scène esthétiques où il marie des sons électroniques aux recherches en biologie, astronomie ou physique, Ryoji Ikeda a ce côté obsessif des savants multidisciplinaires imperméables aux approches utilitaires par compétences et qui travaillent sans aucune frontière.

Chez DHC/ART, il expose dans les deux ailes du centre d'art. Dans la première salle du 451, rue Saint-Jean, une triple installation représente les expressions décimales de trois nombres mathématiques que sont π (pi ± 3,14159), le nombre d'Euler (e ± 2,7128) et le nombre d'or (phi ± 1,6180). Cela donne trois tableaux en apparence noir, gris et blanc où sont en fait écrits ces nombres de manière graphique si minuscule qu'il faut plus qu'une loupe pour distinguer les millions de chiffres qui les composent.

Ikeda s'intéresse à cet infiniment précis à cause des applications de ces nombres - depuis l'antiquité - en géométrie, en architecture ou même en économie pour les calculs des intérêts composés. Dans la même salle, il a d'ailleurs visualisé ces nombres sur une pellicule de 16 mm pour montrer que s'ils ont l'air abstraits, ils sont bel et bien connectés à la réalité.

Dans une autre salle (G2), Ryoji Ikeda a construit trois îlots archéologiques du savoir en présentant, d'une part des bandes perforées informatiques IBM, d'autre part des cartes informatiques du Pentagone datant de la guerre froide et enfin des rouleaux de musique d'anciens orgues de Barbarie, à chaque fois intégrés sur des boîtes lumineuses.

Dans cette salle, on trouve aussi l'oeuvre 4'33'' constituée d'une pellicule de 16 mm sur laquelle Ikeda a matérialisé les 4'33'' que dure une oeuvre musicale de l'Américain John Milton Cage (1912-1992) faite uniquement... de silence, « au piano », et qui comprend trois mouvements ! L'Américain l'avait « composée » pour faire prendre conscience aux spectateurs des sons ambiants.

«Cette oeuvre d'Ikeda est une manifestation physique d'une notion immatérielle et temporelle, et une réflexion sur le savoir, dit John Zeppetelli, commissaire de l'exposition. Tout comme l'oeuvre à côté, 0'10'', qui correspond sur pellicule au décompte de 10 secondes qui précède un film.»

Les oeuvres installées dans la salle G4 annoncent celles exposées dans l'aile du 465, rue Saint-Jean et qui marquent la synthèse des recherches d'Ikeda. S'y trouvent dix boîtes lumineuses dotées de loupes qui permettent d'observer ce que l'artiste a téléchargé dans le cadre de son projet datamatics sur l'obsolescence des médias numériques, soit des données sur la spirale hélicoïdale de l'ADN, sur la quatrième dimension du cube, sur les protéines, les messages en morse ou sur une cartographie du ciel.

Mais c'est effectivement au 465, rue Saint-Jean que l'on assiste au spectacle son, images et lumières typique du travail de Ryoji Ikeda avec ces mêmes expressions de l'intelligence humaine. Onze écrans, 11 ordinateurs et 12 haut-parleurs retransmettent des équations mathématiques pour diverses spécialités scientifiques, un des écrans beaucoup plus grand diffusant notamment des valeurs nominales qui ont été pixélisées, la projection étant accompagnée d'une douce musique électronique.

«L'idée est de visualiser le sens du sublime de notre ère informatique, avec tous ces chiffres indicibles et troublants mais qui existent sans cesse, évoluent et sont des porteurs d'information», dit John Zeppetelli.

Fasciné par l'information et la connaissance, Ryoji Ikeda donne avec une apparente abstraction un accès direct à la puissance de l'espèce humaine et à son art plurimillénaire de se différencier de la nature par la culture. Une exposition exigeante sur le génie humain.

Ryoji Ikeda à DHC/ART, jusqu'au 18 novembre