Heureuse rentrée automnale au Musée d'art contemporain (MAC) qui expose côte à côte le Montréalais Pierre Dorion et la New-Yorkaise Janet Biggs, artistes différents dans la démarche et le propos, mais fascinés, l'un comme l'autre, par les espaces.

Participant à l'initiative du Centre Clark (Yann Pocreau et Claudine Khelil) de jumeler des artistes de Montréal et de Brooklyn, le MAC frappe fort cet automne avec une programmation brillamment agencée. Proposer en même temps la plus grande exposition des oeuvres de Pierre Dorion jamais organisée par un musée et l'exceptionnel travail vidéographique de Janet Biggs, exploratrice d'êtres qui se surpassent, est un cadeau pour l'oeil et l'esprit.

D'abord Dorion. Le peintre dans sa splendide maturité. Quel bel effort du commissaire Mark Lanctôt d'avoir rassemblé dans des espaces aérés 70 de ses plus belles oeuvres, une sélection qui permet de mesurer son cheminement depuis 18 ans.

Si Pierre Dorion utilise la photographie pour créer ses tableaux, il n'est pas un photoréaliste au sens strict, préférant s'évader d'une reproduction fidèle.

«J'ai toujours pensé tel que Caspar David Friedrich et ce qu'il a écrit sur son travail, soit qu'il était toujours un peu sceptique devant des oeuvres trop léchées. Il a une espèce d'humilité par rapport à ce qu'il représentait. Cette approche m'a toujours intéressé», confie l'artiste.

On découvre donc ces oeuvres de Pierre Dorion qui ont fait sa marque avec son attirance pour les intérieurs, ces espaces architecturaux qu'il déconstruit. Son installation Chambres avec vues est reconstituée 13 ans plus tard et permet d'aller à la rencontre de ses nouvelles peintures dans le contexte de ce cube blanc qu'il continue de cultiver en prenant ici et là des photos d'expositions dont il s'inspire ensuite.

Si l'on vibre à retrouver ses peintures plus anciennes, découvrir deux toiles de 2012 représente la cerise sur le gâteau. Elles témoignent de sa manière érudite de considérer la réalité. Ces deux longues toiles rectangulaires diffusent ce souci qu'il a de faire cohabiter abstraction et figuration.

Gate représente les barreaux de l'entrée grillagée d'un parc, a expliqué le peintre à La Presse, donnant une impression de 3D. Dans Sans titre, on pense percevoir l'ombre d'une atmosphère. C'est «l'ombre d'un objet projeté sur le mur», dira plus tard Pierre Dorion, la toile représentant un vase de Daniel Buren photographié à New York.

Mark Lanctôt parle de «simplification picturale» chez Dorion. Son travail nous semble pourtant complexe, riche, généreux envers le spectateur et délicat.

Janet Biggs

Il y a aussi de la délicatesse dans les quatre oeuvres vidéographiques de Janet Biggs, mais l'artiste de Brooklyn est avant tout une aventurière qui s'indigne à travers la caméra qu'elle promène dans des contrées pas toujours tranquilles.

Que ce soit dans l'Arctique, avec cet explorateur kayakiste ou cette femme qui extrait du charbon depuis huit ans dans une mine souterraine humide et insalubre, ou à Java où des jeunes ramassent des pierres soufrées au bord d'un volcan en activité au péril de leur vie, Biggs témoigne de la passion de héros inconnus et de leur quête de sens, tout en décriant les travers de l'homme quand il exploite vilement son semblable et son habitat.

Finalement, à ces deux artistes dévoués aux espaces et aux spectateurs actifs s'est jointe Aude Moreau, qui reste dans la même perspective avec une vidéo de gratte-ciel de New York qui ont été pris en travelling, la caméra ayant été installée sur un bateau. L'architecture massive de la métropole semble glisser sur l'eau comme une maquette. Un beau travail qui complète cette fascinante rentrée au MAC.

Pierre Dorion et Janet Biggs au Musée d'art contemporain de Montréal, jusqu'au 6 janvier.