Armand Vaillancourt aura 82 ans en septembre. Toujours pareil à lui-même, le sculpteur n'a rien perdu de son énergie exceptionnelle ni de sa volubilité proverbiale. Peut-être s'est-il un peu adouci. Rencontre avec un chevalier des temps modernes qui «n'a pas de printemps à perdre», titre de l'exposition présentée à la Galerie Lounge TD sur la place des Festivals.                

Vaillancourt arrive en retard à notre rendez-vous. Il a fait un arrêt à l'église anglicane située tout près de la galerie. «J'haïs les religions, les câlisses de religions, dit-il, mais j'aime les temples.» Et le voilà parti sur une piste qui lui permet de ne pas parler de son art. Le monologue qui s'ensuit durera une heure et demie et prendra toutes sortes de directions.

Il sera question du chauffeur de taxi musulman, du ramadan et du carême, du frère de Vaillancourt, éleveur de chevaux qui n'a jamais utilisé le fouet, du chat qu'il flatte tous les matins, de son enfance à la ferme, 16e d'une famille de 17 enfants, maison sans électricité où l'on dormait sur des paillasses, c'est ce qui l'a fait fort.

Il parlera de la beauté de l'aluminium, des Amérindiens avec qui il travaille souvent, mais avec lesquels il ne pourrait plus, personnellement, aller à la chasse pour tuer des animaux, de son fils qui a perdu sa carte de crédit et qu'il a retrouvée, miraculeusement, après avoir récité un Je vous salue Marie comme sa mère lui ordonnait de le faire quand il était petit, des batailles de rue où il sortait les poings et cognait dur, en particulier sur les Anglais.

«J'ai de la misère à parler de mes affaires, explique-t-il, je ne les signe pas, sauf quand je les vends. Moi, j'aime faire. Je suis allumé tout le temps, je fais ça avec joie. J'ai 1200 sculptures dans mon atelier. J'aimerais bien acheter une école à Montréal qui deviendrait une fondation où placer tout ça...

«J'ai toujours aimé aller dans les écoles, travailler avec les enfants, je fais ça depuis les années 50. Ç'a commencé à Sainte-Adèle dans un ancien poulailler. Je m'en souviens. On avait travaillé avec de la peinture pour les autos. Les enfants étaient rentrés chez eux tout sales. Ça avait fait un beau drame...» Les enfants sont de grands artistes, selon lui. «Ce sont mes professeurs.»

Parlant de drame, il fut question de son geste révolutionnaire fait le jour de l'inauguration de sa sculpture monumentale à San Francisco en 1971. Le sculpteur québécois était alors sur la voie de la renommée internationale. Le matin de l'inauguration, il a écrit sur sa fontaine, en grosses lettres rouges visibles pour toutes les caméras du monde: Québec libre.

L'homme engagé

Vaillancourt, on le sait, est le chevalier de toutes les causes. Chevalier de la justice pour tous, partout dans le monde. Il y a une cause pour laquelle il s'est battu et que l'on connaît moins, celle de la lutte contre la ségrégation raciale aux États-Unis dans les années 70.

«Je montais à bord des autobus, dit-il, et j'allais m'asseoir en arrière, avec les Noirs. Y'a des Blancs qui voulaient me tuer! Un soir je suis entré dans un bar de jazz réservé aux Noirs. J'avais ma musique à bouche et mes pieds. Je suis bon avec les pieds. On m'a fait monter sur scène et j'ai joué. J'ai eu un gros succès. Un musicien m'a même donné son chandail que j'ai porté longtemps. Je ne sais plus où il est. En fait, mon engagement politique m'a empêché de devenir un trou-de-cul. J'aurais pu être millionnaire!»

Parlant de millionnaire, ou de personnage odieux, nous allons voir de près une installation dans l'exposition. Il y a là une cuvette devant une bécosse. Dans la cuvette, des bâtons de golf. «Ce sont les bâtons de golf d'Earl Jones, dit Vaillancourt. Jean-René Dufort les a achetés à l'encan et ne savait pas quoi faire avec.»

Une autre installation, remontant celle-là à 1999, est intitulée L'impérialisme américain. Un aigle en caoutchouc est posé sur un bloc dans un tas d'asphalte en miettes. Deux autres blocs représentent des tours qui s'écrasent. Au fond, un écran de télévision. «On dirait une prémonition du 11 septembre 2001», dit le sculpteur qui utilise beaucoup les objets trouvés dans son travail. La maison qui lui sert d'atelier, rue de l'Esplanade, est remplie d'objets de toutes tailles et de toutes sortes. Les plus gros restent dehors, dans le parterre. «J'ai, chez moi, assez de choses pour faire

50 expositions comme celle-ci en même temps!»

Moments du présent

Parlant d'exposition, il y a dans celle qui est présentée à la Galerie Lounge TD des peintures de Vaillancourt, des dessins, des maquettes qui sont aussi des petites sculptures, des sérigraphies. La plupart des pièces ont été réalisées au cours des dernières années. Parmi les peintures, il y en a qui ont été faites au fouet. Au fouet? «Comme quelqu'un qui se bat, dit-il. Ma force, c'est l'instant présent. Regarde ces petits dessins. Ça m'a pris un cinquantième de seconde pour faire ça. Mais 82 ans pour en arriver là. Ce sont des moments.»

Certaines sculptures-maquettes sont destinées à devenir des habitations, d'autres, des monuments. À partir de petites cages en plastique, Vaillancourt a imaginé un centre culturel pour Caraquet, un bâtiment en verre, au bord de la mer. «Mais on manque de fonds...» Une autre sculpture ressemble à la maquette qu'il est en train de réaliser pour un monument dédié à Michel Chartrand et aux travailleurs dans le parc du même nom à Longueuil. «Mais on manque de fonds...» Manque de fonds, mais abondance d'idées et de projets.

Vaillancourt vit dans le présent. C'est le secret de sa jeunesse, dit-il. «Je n'ai pas d'âge. Je n'ai pas le temps d'être vieux.»

Armand Vaillancourt, On n'a pas de printemps à perdre! . Jusqu'au 18 septembre à la Galerie. Lounge TD, 305, rue Sainte-Catherine Ouest, 2e étage.