Le Musée des beaux-arts de Montréal présente jusqu'au 21 août une magnifique série de 80 estampes européennes provenant de la collection de 2 médecins montréalais: entre les paysages flamands, les scènes évoquant la Bible et les eaux-fortes plus contemporaines, l'exposition L'oeil des médecins donne accès à des oeuvres délicates narrant 5 siècles de gravure d'art.

Les estampes collectionnées depuis 1983 par les Drs Jacqueline McClaran et Jonathan Meakins sont réparties dans deux salles du Centre d'art graphique du pavillon Jean-Noël Desmarais du MBAM. Les premières, situées à l'entrée de la galerie Freda & Irwin Browns, témoignent de l'évolution de la gravure en Flandre et aux Pays-Bas et de la vie dans ces régions au XVIIe siècle.

Ainsi, La foire de la Saint-Georges, eau-forte et burin gravée par Lucas van Doetecum en 1559, à partir d'une oeuvre de Pieter Bruegel l'Ancien, décrit avec moult détails l'animation d'une kermesse flamande.

On y voit le dragon terrassé par saint Georges, des scènes de fête, une représentation théâtrale, des soeurs qui se balancent, des hommes qui se battent au couteau, tant de détails qu'on analyse l'oeuvre, un genou à terre, pendant un bon moment. Il ne manque que le son!

D'une technique complètement différente, l'eau-forte de Cornelius Dusart, La fête au village, réalisée en 1685, offre un regard moins panoramique de l'animation d'un bourg hollandais.

Des eaux-fortes de chasse au renard de Pieter Serwountens (1612), on passe à des sujets plus proches du portrait, des légendes et écrits religieux, avec notamment La sainte famille (1589) de Hendrik Goltzius, d'après Bartholomeus Spranger, avec un enfant Jésus rondelet à souhait.

Quelques gravures plus sombres, comme celles de Hendrik Goudt et Ferdinand Bol, soulignent la minutie de ces artistes de l'aiguille qui parviennent à trouver un juste équilibre entre lumière et zones d'ombre.

La crucifixion, d'Israël van Meckenem, est saisissante. Représentant Jésus avant sa mise en croix, l'oeuvre révèle un supplicié décharné, au visage émacié, à la posture lasse. Une souffrance, une désolation qui rappellent les photographies des victimes de l'Holocauste. La Dre Jacqueline McClaran fait remarquer que cette esthétique gothique tardif contraste avec celle de la génération suivante, celle d'Albrecht Dürer, qui représente le Christ avec «une figure musclée et héroïque».

On peut illustrer cette comparaison stylistique avec deux gravures de Dürer: les planches 3 et 6 d'une série de 16 intitulée La Passion sur cuivre. L'une des deux montre l'arrestation du Christ, un beau travail au burin datant de plus de 500 ans (1508).

Le musée présente aussi trois eaux-fortes d'inspiration biblique de Rembrandt, notamment Pierre et Jean guérissant un paralytique à la porte du Temple. «La scène de la guérison cadre bien avec notre vision professionnelle d'une gestion collégiale de la médecine», note la Dre McClaran.

Eau-forte très prenante aussi que celle de Jusepe de Ribera, Saint Jérôme entendant la trompette du Jugement dernier, tout comme les Quatre parties du jour, de Jan Pietersz Saenredam, qui datent de 1590: un petit-déjeuner chez des Flamands, les travaux de menuiserie du père et du fils, le repas du soir et même le coucher, avec le père rejoint par sa femme dans son lit!

Dans la salle Marjorie et Gerald Bronfman se trouvent des travaux de Jan II van de Velde le Jeune, Jacob Mathan et Adriaen van Ostade, qui reprennent les thèmes de la vie quotidienne ou des dieux de l'Antiquité. Également, une gravure de Picasso, Jacqueline de profil à droite, réalisée en 1958 par le peintre andalou, et une d'Édouard Manet (1862), Los Gitanos, mettant une scène une famille de gitans.

Très belle oeuvre aussi que celle de Ferdinand Bol, La femme à la poire, gravée avec délicatesse en 1643. Le vêtement de la femme est si bien fait qu'on en sent presque la texture.

L'oeil des médecins est une exposition rarissime, née de la passion de deux disciples d'Hippocrate qui ont effectivement eu l'oeil en choisissant des oeuvres d'une grande richesse artistique et ethnographique. Une expo à parcourir sans modération et sans hâte, en hommage au génie de tous ces graveurs, éminents messagers de l'art et de l'histoire.

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L'oeil des médecins: Cinq siècles d'estampes européennes, au Musée des beaux-arts de Montréal, jusqu'au 21 août. Entrée gratuite, www.mbam.qc.ca