Tout juste auréolée du prix 2010 de la Fondation Hnatyshyn, l'artiste torontoise Shary Boyle expose ses dernières oeuvres à la Galerie de l'UQAM à compter de vendredi: La chair et le sang permet d'apprécier le travail raffiné de cette artiste polyvalente dont la démarche se situe dans la filiation de l'Américaine Judy Chicago.

La salle est sombre. Dans un angle, éclairée par une lumière noire, une immense toile d'araignée emprisonne une femme qui ressemble à une poupée. De son corps sombre à la posture animale, on ne voit que la blonde chevelure, les yeux de porcelaine et des dents qui tentent de briser ce piège cruel.

«Quand j'ai construit la toile de White Light, je me suis rendu compte combien l'araignée est un animal génial pour parvenir à créer une telle architecture de fils», dit Shary Boyle, en présentant son oeuvre à La Presse.

White Light est une des créations de La chair et le sang, première exposition solo de Shary Boyle, dame très en vogue de l'art canadien actuel. Une fois n'est pas coutume, Louise Déry, directrice de la Galerie de l'UQAM, a d'abord présenté l'expo au Musée des beaux-arts de l'Ontario (AGO), cet automne. Une galerie montréalaise qui produit une artiste majeure torontoise dans la Ville reine et qui va la faire connaître à Vancouver, New York et Paris, cela étonne le milieu torontois et crée un petit velours fleurdelysé.

«C'est important qu'au Canada, on arrive à s'échanger des expositions entre nous, dit Mme Déry. L'exposition a d'ailleurs été si bien reçue que d'autres artistes ontariens aimeraient bien, eux aussi, exposer au AGO.»

La Judy Chicago canadienne

Comparer deux artistes est toujours aléatoire, mais il est bien difficile de ne pas associer le travail et la personnalité de Shary Boyle à ceux de l'Américaine Judy Chicago. Même curiosité pour différentes matières. Même attrait pour la céramique. Même souci de porter un message, de créer pour illuminer. Et surtout, même féminisme de vision.

«Je m'identifie comme féministe, c'est ma perspective et je la revendique, dit Shary Boyle. Elle n'existe pas beaucoup de nos jours, cette perspective. Les gens ont peur de la signification des mots. Pourtant, bien des femmes s'identifient à ce que je fais. Et j'aime embrasser les causes que les gens n'aiment pas!»

Une des installations, Virus (White Wedding), représente une femme à genoux (sculptée en bois, métal et plâtre) qui tend une toile en dentelle avec ses bras et sa bouche. Sur son corps et sur le mur derrière elle est projetée par intermittence une image colorée, puis le mur redevient blanc: discours sur la volonté de la femme de séduire, d'attraper dans les mailles de son filet, mais aussi risque qu'elle soit attrapée.

Shary Boyle dit s'intéresser aussi à l'environnement, aux plaies de la guerre et au manque de communication entre les humains à l'ère des communications. «Mon travail est sur le désir de se rencontrer, dit-elle. Aujourd'hui, les gens ont peur de se rencontrer et pourtant, ils veulent être aimés. Mais on a tant de problèmes! On est tellement déconnectés du reste du monde, tellement différents. Je m'en rends compte quand je voyage.»

Le titre de l'exposition, La chair et le sang, l'insinue: en toutes choses, Shary Boyle présente l'intérieur et l'extérieur, le dit et le non-dit, le particulier et le général, l'enveloppe et la lettre, le pile et le face, le bon et le mauvais. «Mon travail évoque souvent le refoulement, ce quelque chose de sombre qu'on n'exprime pas. Mais il y a aussi de la joie dans mes oeuvres, de l'euphorie, ce qui nous permet de survivre. Ce sont des sujets universels, mais qui n'ont pas d'évocation littérale, donc moins faciles à comprendre. Comme la musique, il faut l'écouter, la sentir.»

Âgée de 38 ans, Shary Boyle a été très jeune douée en art. «C'est un cadeau de la vie. J'insistais pour étudier en art. Mes parents étaient très sceptiques!» Elle a débuté par le dessin avant de peindre, de sculpter, de créer des installations puis des figurines en porcelaine qui combinent classicisme européen et modernisme du langage.

Porcelaine

La porcelaine marque son parcours depuis huit ans. Elle a rencontré le céramiste Charles Krafft à Seattle avant de collaborer avec des artistes canadiens. Cette matière étant difficile à travailler (nécessité de hautes températures, fragilité du matériau formé, refroidissement long et délicat), elle est allée en Allemagne parfaire ses connaissances sur la base de ce qui se fait à Meissen, près de Dresde, depuis le début du XVIIIe siècle.

«J'aime la porcelaine, car c'est à la fois fort et fragile, ancien et magique. Et il y a un côté classe, donc être subversive avec ce matériau, c'est intéressant. En faire de grande taille, c'est impressionnant, car on a l'impression que les gens vont bouger.»

Épouvantail est une installation où un pantin en chemise à carreaux chevauche sur une botte de foin une femme sculptée en petits morceaux de céramique. «On peut penser à un viol, mais ce n'en est pas un, avertit Shary. C'est plus à propos de la tristesse quand il y a incompatibilité entre deux êtres, une profonde déception de ne pas être autrement.»

L'autrement dit, l'autrement pensé, l'autrement présenté. La signature d'une Shary Boyle inspirée et inspirante.

La chair et le sang, de Shary Doyle, du 7 janvier au 12 février, à la Galerie de l'UQAM (1400, rue Berri, local J-R 120).