Près d'un an après la nomination de Paulette Gagnon à la direction générale du Musée d'art contemporain de Montréal, la nouvelle conservatrice en chef du Musée d'art contemporain, Marie Fraser, entrera en fonction le 1er juin. Elle a accepté de rencontrer La Presse pour évoquer les défis de sa tâche et ses projets ambitieux pour donner une nouvelle et grande dimension au musée.

La nomination de Marie Fraser a été très bien accueillie par le milieu de l'art contemporain québécois, car la nouvelle conservatrice en chef est connue pour son expérience et son dynamisme dans ce domaine. Mais les attentes sont grandes après la controverse initiée l'été dernier à la suite de la nomination de Paulette Gagnon. Marie Fraser a conscience que ses pairs attendent beaucoup d'elle mais, travailleuse acharnée, elle a des ambitions. «Ce n'est pas une pression pour moi, mais un défi», dit-elle en entrevue.

 

Marie Fraser (prononcer «frazère») a un double parcours. Historienne de l'art, elle est titulaire d'un doctorat en histoire de l'art de l'Université de Montréal et professeure au département d'histoire de l'art et aux programmes de muséologie de l'UQAM depuis 2007. Sa carrière académique s'accompagne d'une solide feuille de route avec à la réalisation de nombreux projets d'exposition.

«Je réfléchis constamment à un développement d'idées, dit-elle. En 1997, j'ai conçu une exposition sur l'expérience de la ville. Montréal sortait d'une crise. On avait désinvesti dans la ville. Je voulais mettre l'objectif sur ce problème. La galerie Optica a été en nomination pour ce projet. Après, ça s'est enchaîné de projet d'exposition en projet d'exposition.»

Art ludique

Marie Fraser a véritablement fait sa marque dans le monde de l'art contemporain en 2001 avec l'exposition Le Ludique, qui a rassemblé les oeuvres d'une vingtaine d'artistes français et québécois au Musée national des beaux-arts du Québec, dans la vielle capitale, quelques jours après la tragédie du 11 septembre.

Il s'agissait d'un portrait de l'art contemporain vu sous différents angles. Installation vidéo, oeuvre murale, espace sonore, objets-jouets, Marie Fraser jouait avec les sens. «Je voulais montrer combien l'art contemporain est ludique et a une fonction de jeu. Mais quand on creuse un peu, l'art questionne aussi notre quotidien. Cet effet de bascule de la réflexion était assez réussi.»

Cette exposition avait été organisée en collaboration avec le Musée d'art moderne Lille Métropole, en France, où Le Ludique a par la suite été présenté en 2003. À l'automne 2002, Mme Fraser innove encore avec le projet La demeure, pour la galerie Optica, avec notamment les gros ballons d'Ana Rewakowicz et les murales de Shelley Miller. Puis, en 2005-2006, avec l'exposition Raconte-moi/Tell me organisée avec le Casino Luxembourg-Forum d'art contemporain, au Luxembourg.

Marie Fraser ne connaît pas de frontières. Elle dit vouloir continuer de développer des collaborations sur la scène internationale afin d'enrichir la programmation du musée et avec à l'esprit une meilleure visibilité à l'étranger.

Étant à la fois directrice artistique et responsable du volet éducatif, elle souhaite créer un véritable arrimage entre les expositions et la dimension explicative du Musée, afin de présenter plus de contenu avec une approche dynamique et plurielle.

Comme l'avait réclamé Maurice Forget, l'ancien administrateur du Musée, il y aura plus de films présentés au MACM, plus de conférences et plus de colloques.

«Je vais réintégrer les colloques scientifiques une fois par an pour tisser des liens avec le milieu universitaire. Je peux vous dire qu'il y aura un grand colloque international sur la muséologie contemporaine, avec des historiens et des muséologues d'un peu partout. Les musées d'art contemporain sont en grande transformation: ça fait 20-30 ans que les pratiques artistiques se développent à l'extérieur des musées, que les musées d'art contemporain ne sont plus les seules références du monde de l'art. Il faut regarder comment on peut s'approprier ces nouvelles pratiques.»

Changement d'image

Marie Fraser veut à la fois intégrer plus d'oeuvres de la modernité et sortir le Musée de ses murs. «Je veux présenter d'autres sortes d'art, donner la chance à des artistes des communautés culturelles, à des jeunes, et tout ça n'est pas obligatoirement très payant. Il faut aussi tenir compte du facteur économique. Ça coûte de plus en plus cher d'acquérir et de présenter des oeuvres. Et la privatisation des musées est un problème majeur. Un des objectifs de Paulette Gagnon est, avec ses autres tâches, d'essayer d'aller chercher de l'argent dans le secteur privé.»

Marie Fraser va poursuivre l'expérience des mercredis soirs gratuits qui seront bientôt financés par un commanditaire.

Marie Fraser veut que la population visite davantage le MACM et soit plus impliquée avec le Musée, à l'image de ce que le Musée des beaux-arts de Montréal est parvenu à faire. Mais elle ne fera pas à tout prix.

«On n'a pas besoin de faire du commercial pour attirer du monde. L'art contemporain, c'est hot, c'est jet set. Les gens cultivés l'apprécient, mais monsieur et madame Tout-le-Monde aussi. Je l'ai constaté quand nous avons présenté Le Ludique. Le public est capable d'apprécier l'art, mais pour l'amener au musée, cela prend de la publicité et un changement d'image.»

Un peu comme l'Opéra de Montréal l'a fait avec sa campagne de pub faite de visages maquillés? «Tout à fait, car dans ce cas, c'est l'image de l'opéra qui a changé. On l'a démythifié, sans changer le contenu.»

Projets en chantier

Il y aura un agrandissement du Musée pour doubler les espaces d'exposition. On va agrandir vers le haut et vers le nord. Le jardin extérieur se retrouvera sur le toit. Comme Paulette Gagnon l'a déjà évoqué, l'entrée principale sera rue Jeanne-Mance, côté place des Festivals, afin que le musée soit au coeur de l'événementiel.

«Je veux développer des partenariats avec le Quartier des spectacles pour que le Musée soit présent dans cet espace. On peut avoir une belle présence sur la place des Festivals.»

Marie Fraser est enchantée de seconder Paulette Gagnon, qui a occupé son poste pendant 12 ans. «Je ne peux être qu'heureuse de travailler avec elle, dit-elle. Il ne peut y avoir meilleure directrice générale. C'est l'ancienne conservatrice en chef; donc, les gestes qu'elle va poser vont permettre de mieux exposer la collection, de l'augmenter et d'avoir les espaces adéquats.»

Ces temps-ci, Marie Fraser parcourt les ateliers d'artistes à la maîtrise dans les universités à la recherche de talents et d'idées d'exposition. «Ce sont eux qui vont venir au Musée», dit-elle. Elle réfléchit aussi sur la conservation de l'histoire du Musée. «Il y aura de grandes rétrospectives, dit-elle. J'ai toutes sortes d'idées pour réactiver le musée et sa collection historique. Quelques projets sont en chantier. On va tout annoncer prochainement.»

Marie Fraser veut faire de la salle Beverly Webster Rolph (BWR) une salle expérimentale où la programmation sera assez souple afin d'y produire des créations de toutes sortes. «Je veux qu'on trouve une façon de soutenir la création multimédia, pour que le Musée joue un rôle, produise des oeuvres, les présente, les documente, les diffuse, les mette en perspective.»

Trois expositions nouvelles, qu'elle n'a pas mises en branle, seront bientôt présentées: Les lendemains d'hier, sur des enjeux de l'architecture et du design; les installations filmiques de l'artiste britannique Runa Islam, une coproduction partielle avec le Museum of Contemporary Art de Sydney; et les oeuvres photographiques de David K. Ross, une vision particulière des caisses de couleurs qui servent à expédier les oeuvres des musées d'art contemporain.

On ne sentira la «touche» Fraser que l'automne prochain, quand elle annoncera la programmation 2011. «Un des projets est de déconstruire la collection dans un grand déploiement, dit-elle. Une conservatrice et une artiste utiliseront une approche transdisciplinaire, transhistorique et transculturelle pour présenter la collection de façon non traditionnelle, sans tenir compte de la discipline ou de la chronologie, sans conception linéaire. Ce sera très intéressant.»

Un autre projet concerne Anri Sala, l'artiste berlinois d'origine albanaise, figure montante de l'art contemporain qui présentera en janvier une oeuvre vidéo en lien avec la vision. Et puis, elle prépare la deuxième Triennale pour l'automne 2011, qui proposera un nouveau portrait de la production actuelle d'art contemporain, après celle présentée en 2008.