La peintre canadienne Esther Bryan expose jusqu'au 5 juin à la maison de la culture Frontenac un projet collectif d'art textile, Fibres du monde. Une oeuvre de 36 m de long composée de tissus créés par des Canadiens représentant 263 nations du monde.

Depuis l'an 2000, Fibres du monde parcourt l'Amérique du Nord, d'un lieu d'exposition à un autre: 1,4 million de personnes ont déjà vu l'oeuvre textile formée de 263 carrés de 23 cm de côté.

Née en France de parents slovaques, ayant vécu aux États-Unis et à Trois-Rivières avant de s'installer en Ontario, Esther Bryan a eu l'idée de ce projet après être allée en Slovaquie avec son père. «J'ai retrouvé une partie de mon histoire et ça m'a inspirée», dit-elle.

Apprenant qu'au moins une personne provenant de chacune des nations du monde habite au Canada, Mme Bryan et des bénévoles sont partis en 1998 à la recherche de représentants de ces communautés et a construit cette oeuvre petit bout par petit bout.

Chaque carré est inséré dans un hexagone et les hexagones mis bout à bout forment une immense courtepointe.

«L'hexagone est le symbole de la molécule de carbone, donc de la vie, dit Esther Bryan. Bout à bout, cela donne un nid d'abeilles, donc une structure forte, comme une société où il y a des individus, mais aussi des voisins et une cohésion. C'est une oeuvre qui raconte notre tissu social, qui parle de nous-mêmes, au Canada, mais aussi qui parle du monde, qui célèbre l'unicité des habitants de cette Terre.»

L'idée du textile provient du fait que le tissu est une matière universellement partagée tout en témoignant de l'identité propre, de la géographie, de l'histoire, de la religion, de la culture de celui qui l'a tissé.

Il est intéressant de prendre le temps d'observer chaque carré de cette tapisserie de l'humanité. Ils sont tous l'expression d'un savoir-faire. C'est un grand voyage dans le monde artisanal et culturel.

Sur le carré de l'Argentine, il y a un poncho. Sur celui de la Suisse, une horloge. Pour le Yémen, c'est un couteau. Certains pays, comme la Roumanie, l'Angleterre, le Maroc, le Pakistan ou Chypre ont des tissus brodés finement. La communauté métis a créé un carré avec un canot dans lequel il y a une guitare, une rame, des colliers et des tissus.

Les Émirats arabes unis, l'Arabie Saoudite et la Syrie ont une théière en commun. Le Bangladesh comme la Zambie montre une femme qui écrase du grain dans un mortier. Une femme masaï orne le tissu du Kenya. Le carré de la communauté inuvialuit n'est pas un tissu, mais une peau de phoque sculptée.

Quelque 60 communautés de Montréal ont participé à la confection de l'oeuvre. Mardi, lors du vernissage, Maman Blandine avait les larmes aux yeux. Camerounaise d'origine, elle a repéré son bogolan au sein de la courtepointe: le dessin d'une femme avec au cou une parure de cauris, ces coquillages qui servaient jadis de monnaie.

Maman Blandine a longtemps eu un atelier de couture rue Saint-Hubert. Ce petit morceau de tissu qu'elle a créé, c'est beaucoup d'émotion pour elle. Des souvenirs et une fierté d'avoir participé à une action collective dans ce pays qui l'a accueillie en 1994.

«Le projet a permis de valoriser des gens qui n'ont pas l'habitude d'être sous les projecteurs, dit Mme Bryan. Ils avaient une histoire à raconter.»

Du coup, Esther Bryan a fait un livre, Fibres du monde, dans lequel chaque carré de tissu est décrit par la personne qui l'a créé et qui participe à cette aventure humaine qu'est le Canada, une aventure résumée sur 36 m de carrés multicolores tissés serré.

Fibres du monde, jusqu'au 5 juin à la maison de la culture Frontenac (2550, Ontario Est)