L'homme est fatigué et malade. À presque 75 ans, Melvin Charney n'est plus jeune, mais il demeure l'un des architectes les plus influents de sa génération. Pourtant, il est aujourd'hui si discret que le grand public le connaît peu. La Presse l'a rencontré dans son bureau de Westmount à l'occasion de la sortie d'un livre sur ses photographies peintes.

Même si le commun des mortels n'a jamais entendu parler de Melvin Charney, il a sûrement croisé une de ses oeuvres un jour ou l'autre sans le savoir. Le jeune sans-abri s'est peut-être appuyé sur ses sculptures métalliques au parc Émilie-Gamelin; le promeneur s'est sans doute arrêté au jardin du Centre canadien d'architecture, boulevard René-Lévesque. Les plus vieux se souviendront aussi de la polémique monstre créée par l'exposition Corridart, en 1976. Et de la colère tout aussi monstre du maire de l'époque, Jean Drapeau (voir capsule).

 

Mais avant ses réalisations construites, Melvin Charney est d'abord un grand observateur de la ville. «Chaque moment où j'existe, j'observe», dit l'architecte et artiste. Pas étonnant, alors, qu'il se soit initié à la photographie dès son plus jeune âge. Avec son appareil photo, le petit Melvin a arpenté le Vieux-Montréal à l'époque où il était triste et abandonné, ainsi que le canal de Lachine et les rues de Manhattan. Dans le livre qui lui est consacré, on trouve même un cliché de son père et lui à New York, lorsqu'il était âgé de 12 ans. «Mon père était peintre, mais il a dû travailler toute sa vie, raconte Charney. Il ne pouvait pas vivre de son art.»

Politisé, Melvin Charney a aussi ramassé des coupures de journaux de la presse internationale pendant 35 ans. Traitant du Vietnam, du Rwanda ou du Stade olympique, tous les extraits ont en commun d'en révéler un peu sur nos villes. Les centaines de bouts de papier, soigneusement classés en thèmes et regroupés sous le nom UN DICTIONNAIRE..., ont d'ailleurs été exposés à la Biennale de Venise en 2000.

C'est à partir de cette collection de coupures de journaux, ainsi que de ses photos personnelles, que Melvin Charney a réalisé une série de photographies peintes à compter de 1990. Par-dessus la photo originale, il superpose à la manière d'un collage des illustrations qu'il dessine, le plus souvent dans des teintes de rouge et bleu vif. On devine une fine critique de la ville derrière ces grands traits de pastel, notamment avec ces gratte-ciel munis de pattes qui s'enfuient à toutes jambes.

Ces oeuvres sont regroupées dans un livre, The Painted Photographs of Melvin Charney, lui-même créé à partir d'une exposition ayant eu lieu à New York en 2008. Si l'ouvrage en soi est agréable à feuilleter, l'essentiel du contenu risque de s'avérer trop pointu pour le grand public.

Vivre à Montréal aujourd'hui

Après avoir étudié et travaillé à l'étranger, Melvin Charney est revenu au Québec depuis plusieurs années. Il croit que Montréal possède certaines qualités dont d'autres villes sont dépourvues. «Toutes les maisons ont des numéros, dit-il en regardant par la fenêtre. Il y a un escalier pour chaque logement. Ce n'est pas comme ça dans toutes les autres villes.»

Melvin Charney, qui est aussi l'oncle de Dov Charney, fondateur des magasins American Apparel, a une sacrée feuille de route derrière lui. «On disait jusqu'à tout récemment que l'art de l'architecture est l'art des vieux hommes, parce que le métier est long à apprendre», dit Melvin Charney. Lui, en tout cas, en a long à apprendre aux architectes de la jeune génération.

 

Les maisons de la discorde

Le livre aborde aussi un projet phare de Melvin Charney, Les maisons de la rue Sherbrooke. Le projet a été créé dans le cadre d'une exposition temporaire le long de la rue Sherbrooke, Corridart, pour souligner l'ouverture des Jeux olympiques de 1976 à Montréal. L'intervention de Melvin Charney, angle Saint-Urbain et Sherbrooke (où se dresse maintenant le nouveau pavillon de l'UQAM), était constituée d'une façade temporaire qui «réparait» le vide laissé par la destruction sauvage de bâtiments historiques dans les années 60. L'installation a toutefois été démolie avant même le début des Jeux olympiques par l'administration Drapeau, qui y voyait un geste politique. L'incident a fait couler beaucoup d'encre, même en dehors de nos frontières.